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jeudi, 10 décembre 2020

La perception des idées de Martin Heidegger et Carl Schmitt en Chine

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La perception des idées de Martin Heidegger et Carl Schmitt en Chine

Par Xie Dongqiang

Traduction de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru/es

Martin Heidegger

Martin Heidegger était un penseur allemand, l'un des plus grands philosophes du XXe siècle. Il a créé la doctrine de l'Être comme l'élément fondamental et indéfinissable, mais faisant partie intégrante de l'univers. Il est l'un des plus éminents représentants de l'existentialisme allemand.

Franz_Brentano_portrait.jpgSelon lui, la philosophie, pendant plus de 2000 ans d'histoire, a prêté attention à tout ce qui a les caractéristiques de l'"être" dans ce monde, y compris le monde lui-même, mais a oublié ce que cela signifie. C'est la "question de vie" de Heidegger, qui traverse toutes ses œuvres comme un fil rouge. Une des sources qui a influencé son interprétation de ce thème a été les travaux de Franz Brentano (photo) sur l'utilisation des différents concepts de l'être dans Aristote. Heidegger commence son œuvre principale, L’Etre et le Temps, par un dialogue tiré du Sophiste de Platon, qui montre que la philosophie occidentale a ignoré le concept d'être parce qu'elle considérait que sa signification allait de soi. Heidegger, pour sa part, exige que toute la philosophie occidentale retrace dès le début toutes les étapes de la formation de ce concept, appelant à un processus de "destruction" de l'histoire de la philosophie. Heidegger définit la structure de l'existence humaine dans son ensemble comme "Sorge" (= le Souci), qui est l'unité de trois moments : "être dans le monde", "courir en avant" et "être avec le monde de l'être". La "Sorge" est la base de "l'analyse existentielle" de Heidegger, comme il l'a appelée dans L'être et le temps. Heidegger pense que pour décrire une expérience, il faut d'abord trouver quelque chose pour laquelle une telle description a un sens. Ainsi, Heidegger déduit sa description de l'expérience à travers le Dasein, pour lequel l'être devient une question. Dans L’Etre et le Temps, Heidegger a critiqué la nature métaphysique abstraite des façons traditionnelles de décrire l'existence humaine, comme l’"animal rationnel", la personnalité, l'être humain, l'âme, l'esprit ou le sujet. Le Dasein ne devient pas la base d'une nouvelle "anthropologie philosophique", mais Heidegger le comprend comme une condition pour la possibilité de quelque chose comme "anthropologie philosophique". Selon Heidegger, le Dasein est "Sorge". Dans la partie sur l'analyse existentielle, Heidegger écrit que le Dasein, qui se trouve jeté au monde entre les choses et les Autres, trouve en lui la possibilité et l'inévitabilité de sa propre mort.

L'essence de la pensée de Heidegger est la suivante : l'individu est l'existence du monde. Parmi tous les mammifères, seuls les humains ont la capacité d'être conscients de leur existence. Ils n'existent pas en tant que "je" associé au monde extérieur, ou en tant qu'entités qui interagissent avec d'autres choses dans ce monde. Les gens existent grâce à l'existence du monde et le monde existe grâce à l'existence des gens. Heidegger pense également que les gens sont en contradiction : ils prédisent une mort imminente, ce qui entraîne des expériences douloureuses et effrayantes.

Quant à l'adoption du Soi et du temps en Chine, Wang Heng souligne dans Foreign Philosophy que cela fait partie de l'existentialisme. Cela est probablement dû à l'atmosphère idéologique de lutte pour la liberté et la libération de l'homme dans les années 1980. Chacun croit que l'existence ou la survie est comprise comme un libre choix de l'individu. Il semble maintenant que la lecture de L'Être et le Temps par les Chinois était un peu inappropriée. Car dans L'Être et le Temps, Heidegger a sévèrement critiqué les valeurs dites modernes de subjectivité, de liberté individuelle et de libération de l'homme.

Heidegger a également des considérations idéologiques plus profondes. Liu Jinglu a souligné dans son article "Sur la critique de la métaphysique traditionnelle de Heidegger" que Heidegger s'intéresse à une question plus fondamentale, la question fondamentale de la métaphysique ou de la philosophie occidentale, et même la question clé de la civilisation occidentale. Heidegger estime que, si nous voulons comprendre l'existence, nous devons partir de l'existence réelle des êtres humains ; "l'être" ne peut être considéré comme un objet réel, tout comme l'existence humaine. L'essence d'un être humain est "l'être", c'est-à-dire que les gens n'ont pas une essence définie. Il est probable que les gens se tournent vers l'avenir et fassent face à leur propre mort.

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Après la Première Guerre mondiale, la civilisation occidentale moderne a été confrontée à une grave crise, c'est-à-dire à de profonds doutes sur le rationalisme moderne. Depuis le XVIIIe siècle, les Occidentaux ont senti qu'ils pouvaient comprendre le monde par la raison, la science et la technologie et établir un ordre social et politique rationnel, réalisant ce que Kant appelait la "paix perpétuelle". Mais la Première Guerre mondiale a fortement entamé cette confiance. C'est le contexte idéologique de l'Être et du Temps de Heidegger. Heidegger a posé la question suivante : cette philosophie rationaliste moderne peut-elle vraiment expliquer et transformer le monde ? La conclusion de L’Etre et le Temps est que le rationalisme moderne en tant que base philosophique de la civilisation moderne n'est pas enraciné en lui-même, parce que la connaissance rationnelle des gens est enracinée dans les émotions spécifiques de la vie des gens.

Plus tard, Heidegger a qualifié la crise du monde moderne de nihilisme. Il a déclaré que le nihilisme n'est pas une crise morale, qu'il ne signifie pas que notre vie a perdu son fondement moral, et qu'il n'est même pas une crise des valeurs comme Nietzsche l'a compris. Selon lui, la crise du nihilisme est la crise de toute la civilisation moderne en tant qu'époque technologique. Car l'essence de la technologie est d'abord de transformer l'"être" en un objet reconnaissable, un "être" compréhensible, puis de le conquérir et de le contrôler. La technologie, c'est comme le formatage d'un ordinateur, le formatage de tout. Le monde de l'existence humaine n'a donc plus aucun mystère et plus aucune source de sens. Heidegger a dit qu'à l'ère de la technologie, pourquoi les dieux se sont-ils enfuis ? Parce que les dieux doivent rester là où ils ne peuvent pas être atteints. Au niveau le plus profond, la pensée ultérieure de Heidegger nous oblige à réfléchir à de nombreuses questions fondamentales pour la survie de l'homme à l'ère de la technologie. Car à l'ère de la technologie, les gens sont confrontés non seulement à la fuite des dieux, mais aussi à d'importantes questions éthiques et morales qui sont étroitement liées à nos vies particulières. Heidegger nous demandera s'il y a un domaine que les humains ne peuvent pas comprendre et contrôler. Dans une période ultérieure de sa vie, il a cru que "l'être" est la source de toutes les pensées, et que nous devrions toujours trembler devant lui. Bien que l'être soit hors de portée de nos pensées, toutes nos pensées proviennent de ses dons.

Dans une interview intitulée "À propos de Heidegger et de sa philosophie", le professeur Wu Zengding, du département de philosophie de l'université de Pékin, estime que, bien que l'étude de Heidegger en Chine ait porté à l'origine sur l'Être et le Temps, de nombreux chercheurs se sont penchés sur ses pensées ultérieures, en particulier sur les pensées postérieures aux traditions de la pensée traditionnelle chinoise. Autre exemple : l'implication de Heidegger dans le nazisme et dans d'autres problèmes sont aujourd'hui très populaires dans les milieux universitaires et idéologiques occidentaux ; les universitaires chinois, bien qu'ils soient également concernés par ces questions, ne les considèrent pas comme les plus importantes dans la pensée de Heidegger.

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En outre, Wu Zhengding a souligné dans des interviews que l'importance fondamentale de Heidegger pour les universitaires chinois est qu'il leur fournit une référence particulièrement bonne pour comprendre les traditions philosophiques occidentales. Les érudits chinois croyaient inconsciemment que la civilisation occidentale progressait d'une lumière à l'autre et d'un progrès à l'autre : la Grèce antique était le point de départ et la modernité la fin. Mais Heidegger offre l'image inverse de la pensée. Elle aurait pu être pensée aussi bien à l'époque présocratique, à l'époque des Grecs et des Occidentaux qui, à cette époque, auraient pu avoir une compréhension plus réelle et plus profonde de l'"être", mais la civilisation moderne a oublié cette expérience mentale de l'"être".

En outre, Heidegger est également d'une grande importance chez les universitaires chinois pour comprendre la tradition idéologique de la Chine. Par exemple, les universitaires chinois ont utilisé le cadre de la philosophie occidentale ou de la métaphysique pour comprendre la pensée chinoise. Les chercheurs chinois ont donc toujours douté de l'existence de la philosophie dans la Chine ancienne. La science existe-t-elle ? L'épistémologie et la métaphysique existent-elles ? Les universitaires chinois pensent qu'une partie de la pensée chinoise est éthique et une autre métaphysique, mais quelle que soit la manière dont on l'explique, elle ne correspond pas à la philosophie occidentale, c'est-à-dire à la métaphysique. Mais aux yeux de Heidegger, les universitaires chinois auront le sentiment que la métaphysique occidentale elle-même peut être problématique, et qu'il n'est pas nécessaire de l'utiliser comme condition préalable et standard pour comprendre et expliquer la pensée chinoise, ou pour se plier délibérément à une école ou un système occidental particulier.

Carl Schmitt

Carl Schmitt est un théologien, juriste, philosophe, sociologue et théoricien politique allemand. Schmitt est l'une des figures les plus importantes et les plus controversées de la théorie juridique et politique du XXe siècle, grâce à ses nombreux ouvrages sur le pouvoir politique et la violence politique.

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Dans La notion du politique, Schmitt a écrit que la principale différence en politique est la différence entre amis et ennemis. C'est ce qui sépare la politique de tout le reste. L'appel judéo-chrétien à aimer ses ennemis s'inscrit parfaitement dans la religion, mais il ne peut être concilié avec la politique, qui implique toujours la vie et la mort. Les philosophes moraux se soucient de la justice, mais la politique n'a rien à voir avec le fait de rendre le monde plus juste. Les échanges économiques ne nécessitent que de la concurrence, pas de l'extinction. La situation est différente en ce qui concerne la politique. Schmitt dit : "La politique est la confrontation la plus intense et la plus extrême". La guerre est la forme la plus violente de la politique, et même s'il n'y a pas de guerre, la politique exige toujours que vous traitiez vos adversaires comme hostiles à ce que vous croyez.

Les conservateurs ont été plus attentifs aux opinions politiques de Schmitt que les libéraux. Schmitt pense que les libéraux ne sont jamais devenus des politiques. Les libéraux ont tendance à être optimistes sur la nature humaine, mais toutes les vraies théories politiques supposent que les gens sont mauvais. Les libéraux croient en la possibilité d'un gouvernement neutre qui peut régler les positions conflictuelles, mais pour Schmitt, comme tout gouvernement ne représente que la victoire d'une faction politique sur une autre, une telle neutralité n'existe pas. Les libéraux insistent sur le fait qu'il existe des groupes sociaux qui ne sont pas limités à l'État ; mais Schmitt estime que le pluralisme est une illusion car aucun État réel n'a permis à d'autres forces, comme la famille ou l'église, de s'opposer à son pouvoir. En bref, les libéraux s'inquiètent des autorités parce qu'ils critiquent la politique, ils ne s'impliquent pas dans la politique.

978-1-137-46659-4.jpgLe professeur Xiao Bin a souligné dans son livre "De l'État, du monde et de la nature humaine à la politique : la construction du concept politique de Schmitt", que l'homme lui-même est un être dangereux. "Il prétend que la politique est un danger pour les gens." La question suivante qui se pose lorsque l'on participe à la politique est d'expliquer ce qu'est la politique, en particulier la nature de la politique. La survie de l'unité nationale exige comme condition préalable une distinction entre ennemis et amis. Une politique fondée sur la séparation des ennemis et des amis est non seulement le destin inévitable de l'unité de la nation et de l'État, mais aussi la base de son existence. Schmitt a une compréhension unique de la nature de la politique : la norme de la politique est de séparer les amis et les ennemis. En fait, ce que nous appelons la politique implique la relation entre un ami et un autre, et la différence est l'intensité de cette différence. Cependant, nous ne pouvons pas ignorer le fait que les origines théologiques les plus secrètes et les plus mystérieuses et le nationalisme allemand ont un niveau de critères différent pour séparer les amis des ennemis.

En matière de politique, l'Est et l'Ouest parlent surtout de la compréhension de la nature humaine. Schmitt a également reconnu ce point : une question fondamentale de la philosophie politique est le débat entre le "mal" ou le "bien" dans la nature humaine. Dans son livre Le concept du politique, Schmitt soutient que les êtres humains sont par nature incertains, imprévisibles et qu'il s'agit toujours d'un problème non résolu. La conception confucéenne chinoise de la nature humaine met davantage l'accent sur le "développement de l'esprit". L'Occident, qui est très différent de l'Orient dans son tempérament spirituel, admire encore plus la "philosophie spirituelle". La civilisation maritime et l'histoire des affaires uniques de l'Occident ont permis à la connaissance et à l'intelligence de pénétrer et de dominer la politique. Selon Schmitt, le "bien" signifie l'existence de la "sécurité", le "mal" signifie le "danger". Le "danger" apporte de la vitalité au monde.

Selon Schmitt, la politique est toujours dominée par la nécessité de distinguer entre amis et ennemis. Les amis et les ennemis ne sont pas créés à partir de rien. Du point de vue de la théorie du contrat social : dans un état de nature, qu'il s'agisse d'un état de coexistence pacifique entre les gens ou d'un état de guerre lorsque les gens vivent ensemble comme des loups, les conflits sont inévitables. Marx a compris que l'État a été créé avant l'antagonisme des classes et que la politique est un produit de la lutte des classes. Cependant, Marx a mis l'accent sur la lutte des classes, et le but ultime est d'éliminer les classes et de supprimer la base économique créée par les classes. Marx a démontré la possibilité de l'élimination des classes, c'est-à-dire la réalisation de la liberté et de la libération de toute l'humanité : le communisme.

imagescs.jpgDu point de vue ci-dessus, la politique émerge des conflits humains et les phénomènes politiques de la société humaine sont inévitablement associés aux conflits et à la coopération. Même si vous comprenez la politique en termes de bonté et de moralité, comme Aristote, elle ne peut pas cacher l'existence du mal. Sous le bien suprême se trouve la crise du mal. L'homme est l'existence de l'incertitude, l'homme est un animal politique naturel, et où qu'il soit, il y aura des conflits. Dans les conflits, il y aura inévitablement deux camps opposés et la politique ne peut pas se débarrasser du conflit... Les deux aspects du conflit et de la confrontation nous donnent une base logique pour la division en amis et ennemis.

Schmitt a une vision pessimiste et négative du monde humain du point de vue de la théologie religieuse. L'état idéal de perfection n'existe que dans le Royaume de Dieu. Même la paix de Dieu serait inévitablement libérée de l'inimitié et des conflits. Ce mysticisme pessimiste détruit le caractère actif et optimiste des gens. Marx appelait la religion l'opium du peuple. La vie politique doit être construite sur la base matérielle d'une époque particulière. Bien que Schmitt ait attaqué le marxisme, sa philosophie politique n'a apparemment pas réussi à se libérer des chaînes de la théologie. Cette recherche de l'éternité et de la métaphysique absolue relie la philosophie politique à de mystérieuses traditions théologiques et souligne le statut absolu des facteurs politiques. La vision politique de l'ennemi et de l'ami fournit une méthode d'argumentation et affaiblit le souci humaniste qui existe dans la tradition de la philosophie politique occidentale.

La vision politique des ennemis et des amis de Carl Schmitt est la clé de notre compréhension de son concept politique. Plusieurs expositions, comparaisons et même arguments autour des pensées politiques de Schmitt sur les ennemis et les amis dans l'histoire ne sont pas sans fondement. Selon la compréhension de Gao Quanxi, il l'a même appelé "un penseur plein de mordant". Sous le couvert du nationalisme, Schmitt a compris la politique comme un ennemi de l'État national et l'a combattue. L'idée de théologie politique indique, à un niveau plus profond, que ce qui distingue les ennemis du Christ et lutte contre eux est la politique. Selon lui, "le lien systématique entre les prémisses théologiques et politiques est clair. Cependant, la participation théologique tend à confondre les concepts politiques car elle fait entrer la division des ennemis et des amis dans le domaine de la théologie morale". Avec une vision aussi pessimiste de la nature humaine, il n'est pas difficile d'adopter une attitude sceptique et jalouse à l'égard de la nature humaine. L'énoncé du mal sexuel dans un sens existentiel souligne que le contenu des actions humaines est entièrement déterminé par des impulsions, comme les animaux, et croit que cela est inévitable en fin de compte, ce qui vient de leur foi chrétienne. La vision politique que Schmitt a des amis et des ennemis est une combinaison de ces deux niveaux.

dimanche, 06 décembre 2020

Marxisme et ingénierie sociale. Une note sur le droit en tant que cause au sein du matérialisme historique

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Marxisme et ingénierie sociale. Une note sur le droit en tant que cause au sein du matérialisme historique

Carlos X. Blanco

La philosophie de Marx est, une "ontologie de l'être social" avant d’être une (pseudo)-science appelée « Matérialisme historique ». Eugenio del Río, dans L'ombre de Marx [La Sombra de Marx. Estudios sobre la fundamentación del marxismo (1877-1900), Editorial Talasa, Madrid, 1993] a critiqué la "faiblesse" de la méthode matérialiste historique de Marx. Une telle méthode devrait plutôt être appelée "rationalisme analogique" (p. 200).

Cette méthode consiste en ce que, sur la base de processus locaux et concrets, des propositions globales sont énoncées par extrapolation. C'est le cas du concept de "crise" et de l'entité qui est dissoute ou générée à la suite de cette crise, à savoir le "mode de production". La crise du féodalisme, un processus qui implique de nombreux processus sociaux, historiques et culturels, est le modèle pour parler de la crise du capitalisme qui a suivi : par analogie avec la façon dont la bourgeoisie a été - soi-disant - révolutionnaire face aux forces féodales réactionnaires, le prolétariat doit être considéré comme tout aussi révolutionnaire face à cette bourgeoisie déjà au pouvoir, elle-même parasitaire et tout aussi réactionnaire, etc. Il est pourtant bien clair que la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne n'ont absolument rien à voir l'une avec l'autre, que l'utilisation du terme commun "révolution", comme tant d'autres, tels "crise", "mode de production", etc. est purement analogique, sinon équivoque. Les processus qui ont conduit à la dissolution de la société féodale, y compris l'émergence d'un mode de production dominant de type capitaliste, sont complètement différents de ceux qui conduiraient à une dissolution du mode de production capitaliste et à l'émergence éventuelle d'un mode de production socialiste.

Le soi-disant "matérialisme historique" a pour science à la fois la connaissance descriptive (de chaque mode de production, de ses particularités) et la connaissance analogique (les qualités ou termes communs aux différentes formations sociales et aux différents modes de production). C'est autant dire qu'elle partage avec la "science" les aspects les plus rudimentaires et élémentaires de la connaissance humaine, et en aucun cas la possibilité de faire des prédictions. Le matérialisme historique est avant tout une connaissance historique, et cette connaissance est incompatible avec le processus même de la prédiction. Comme l'a dit Georges Sorel (cité par Eugenio del Rio, p. 200) : "L'histoire est entièrement dans le passé ; il n'y a aucun moyen de la transformer en une combinaison logique qui nous permette de prévoir l'avenir". Ce qui peut ressembler le plus à une inférence prédictive comme celles de la physique, de la chimie et des technologies basées sur les sciences naturelles, est une corrélation entre les "sphères" d'une totalité sociale.

La corrélation la plus grossière et la plus simpliste est celle que, métaphoriquement, Marx et Engels mettent en avant entre la "base" et "l'infrastructure" de la société. Le "poids" de chacune de ces sphères est très variable, en fonction de la situation, de la culture, de la phase historique, de la composition et de l'activité des classes sociales. C'est-à-dire l'histoire elle-même. L'histoire elle-même est l'étude descriptive et analogique des formations sociales et autres morphologies culturelles qui se sont développées au fil du temps qui, sans renoncer aux formulations causales, évalue le poids changeant des facteurs "de base" et des facteurs "superstructurels". Loin de trouver du déterminisme dans les œuvres de Marx et Engels (bien qu'il y ait d'abondants passages imprégnés du positivisme et du déterminisme habituels au XIXe siècle), l'accent de la recherche doit être mis sur l'unité ou la totalité sociale. Le couple base/superstructure est un schéma de connexion de ce que précisément l'idéalisme allemand pré-marxiste avait dissocié métaphysiquement : le couple matière/esprit. Peut-être ne faut-il pas reprocher à Marx et Engels la perte de l'unité ou de la totalité des "sphères" que tout le monde reconnaît comme interdépendantes (l'économie, les relations sociales, les idées et les croyances, comme semble le faire Del Río, p. 225), mais plutôt les remercier pour leur tentative de surmonter (et donc de poursuivre, bien que "d'une autre manière") l'idéalisme métaphysique allemand.

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Le matérialisme historique, s'il parle de causes, le fait dans le sens de causes structurelles. Au sein de la totalité sociale, les différents éléments constitutifs ont des relations et des corrélations précises, qui changent en fonction de la situation historique. C'est ce même changement de vigueur ou de prédominance d'un des éléments constitutifs, qui est la matière sur laquelle porte la science de l'histoire. Un exemple pour illustrer cela est fourni par Pierre Vilar (Économie, droit, histoire, Ariel, Barcelone, 1987) en ce qui concerne le droit. Cet élément de la totalité sociale n'est pas seulement une superstructure, un effet des causes économiques ou, plus généralement, des infrastructures. Au contraire, dans l'œuvre de Marx, le droit apparaît comme un élément causal (structurel) de premier ordre dans certains contextes concrets. Diachroniquement, la loi occupe une position structurelle mobilisatrice et formatrice :

"Faut-il ajouter que le droit, produit de l'histoire, en est aussi un des facteurs ? Comme tout élément de la totalité historique, le produit devient une cause. Elle est causée par sa simple position dans la structure de l'ensemble. Il n'y a pas d'éléments passifs dans le complexe historique" (p. 134).

La loi façonne les mentalités et les façons d'agir, et est donc la cause et le conditionneur d'autres causes. Il ne s'agit pas de faire des actions ouvertement ou en secret. Nous en avons un exemple classique dans les lignes que Marx consacre au "vol" de bois de chauffage en Rhénanie :

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"...L'importance du droit, dans l'interprétation historique d'une société, est qu'il nomme, qualifie et hiérarchise tout divorce entre l'action de l'individu et les principes fondamentaux de cette société... Avant la décision de la Diète rhénane, le bois était ramassé, puis volé. Un article de loi transforme un "citoyen" en "voleur" (p. 111).

Au nom d'une raison plus "éclairée", les droits féodaux et coutumiers qui garantissaient aux pauvres un approvisionnement en bois de chauffage ont été supprimés à l'époque où Marx a écrit sur le sujet. Comme tant de mesures juridiques "avancées", ces changements juridiques ont porté un coup dur aux plus défavorisés. La suppression des anciens droits "féodaux" et "anachroniques" au nom du Progrès est la cause de la crise d'un ordre ancien et de l'avènement de nouveaux rapports de production. L'accumulation primitive, l'abolition des "lois du pauvre", les confiscations, etc. ont toujours été des instruments et des causes de l'avancée hégémonique de la bourgeoisie. Dans le cadre actuel, toutes les innovations juridiques (très imaginatives et contraires au Droit naturel) en matière de reproduction (les mères porteuses, par exemple) et de politique familiale (extension à l'absurde du concept de mariage et de famille), sont de parfaits exemples d'ingénierie juridique, par laquelle les mentalités et les coutumes sont modifiées au profit du grand capital. Si le grand capital constate que les institutions, les douanes et les structures sont des obstacles à sa production et à son accumulation, il les supprime ; et en les supprimant, le changement juridique est fondamental.

Que la gauche parie sur une législation qui, unilatéralement, semble être "un pas en avant" signifie, la plupart du temps, un pas en arrière dans les droits de la plupart des travailleurs. Il y a des pas en avant qui le sont, mais vers l'abîme. Les institutions qui ont prouvé leur efficacité pendant des siècles ne doivent pas être considérées comme "rétrogrades". C'est le pire héritage de la gauche postmoderne, confondant le stable et le valide avec ce qui est (ou serait) réactionnaire. La famille, le mariage monogame, la législation et les organisations religieuses caritatives ou éducatives, etc. ont été les béquilles et les boucliers des classes subalternes de la société européenne depuis l'aube du Moyen Âge. Le dénigrement de ces réalités peut servir de propagande pour les nouvelles innovations en matière d'ingénierie sociale, mais il ne s'agit en aucun cas d'un hommage à la vérité et à la science.

mercredi, 02 décembre 2020

La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

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La "nouvelle mythologie" dans la conception politique de Carl Schmitt

Par Luca Leonello Rimbotti

Ex: http://www.centrostudilaruna.it

"La proximité de Schmitt avec l’exigence romantique d'une "nouvelle mythologie" et la contrainte d'espérer en un "dieu du futur" réside dans la conviction de la perte irrémédiable du fondement transcendant du monde et des sociétés, de la disparition dans les esprits d'une instance ultra-mondaine qui pourrait encore garantir un ordre dans la vie ». Cette phrase de Stefan Nienhaus montre clairement que la pensée de Carl Schmitt, loin de s’épuiser en une théorie juridique, était au contraire une conception véritable et complète du monde. Il souligne ainsi l'importance historique de la pensée de Schmitt (un auteur qui, après être tombé amoureux de nos intellectuels frivoles, les a rapidement remis dans le tiroir des objets dont on ne se sert plus). En fait, Carl Schmitt ne se borne pas à identifier et proposer des techniques de gouvernement pour faire face à la crise de l'Occident. Il met en exergue des pouvoirs de souveraineté charismatique, sans lesquels toute politique est réduite à l'administration et toute administration à la comptabilité.

Un nouveau type de mythe et de "mythologie" aurait donc pris le jus publicum europaeum en déclin pour le replacer au sommet de la chaîne de décision, et pour reconstruire les catégories de l'homme politique non pas sur la base de la subversion laïque libérale, mais sur celles, traditionnelles, d'une "théologie politique". En fait, Carl Schmitt nous dit: nous pensons à un nouveau modèle d'État, tiré des exemples les plus nobles, tiré de forces idéelles transcendantes, comme il y en avait dans le passé. Nous pensons à une nouvelle politique, taillée sur l'idée de la souveraineté sacrée qui était jadis pour l'Europe le secret de toute grandeur.

9783428088058-fr-300.jpgAinsi, Schmitt en est venu à théoriser un État refondu incarnant la décision souveraine, à neutraliser les affrontements destructeurs issus des chocs entre intérêts privés, et enfin, à se positionner comme un tiers supérieur capable de faire prévaloir le dernier mot d'une autorité radicale, exprimée dans l'état d'exception, sur le conflit social. On comprend qu'avec de telles idées, Schmitt était sur une trajectoire de collision avec le conservatisme prussien politiquement hégémonique dans l'Allemagne wilhelminienne, et aussi dans uneplus large mesure dans l'Allemagne de Weimar. Le pouvoir d'État, pour l'école prussienne, plus que l'autorité transcendante, c'était l'autoritarisme immanent, et plus que la synthèse hégélienne des contraires, c'était l'affirmation monolithique d'un principe unique et ossifié. C'est pourquoi Schmitt a considéré le suicide du grand poète prussien Heinrich von Kleist - un adepte de l'idée métaphysique du Reich -, qui a eu lieu théâtralement sur les rives du lac Wannsee, comme le symbole de l'échec historique du prussianisme et comme un effet tragique de ses contradictions. Schmitt a alors développé la conviction qu'une relance de l'Europe était possible mais sur d'autres bases. Sur la base, précisément, d'une théologie politique. Très critique à l'égard de la pensée politique du Romantisme - accusé d'extravagances irréalisables - Schmitt en est néanmoins une parcelle, et ce, au moment même où il pense que la restauration de l'Esprit est possible sur des bases irrationnelles mais objectives. Greffer le point de vue prométhéen d'un nouveau mythe communautaire dans la pratique politique était plus qu'un rêve. Reconnaître le sens cosmologique de la pensée présocialiste d'un Proudhon, ou le sens poético-visionnaire d'un Theodor Däubler comme antécédents du pouvoir politique, peut sembler une rechute de Schmitt dans ces divagations très impolitiques dont il avait accusé le romantisme.

Il y a un fait, un détail biographique, qui peut nous aider à comprendre ce que Schmitt avait en tête après tout. Examinons maintenant le passage qu’il a effectué dans son existence : celui qui part de la position du juriste et conseiller technique, homme de confiance du système autoritaire mais weimarien de Schleicher, à celle d’un conseiller d'État prussien sous le régime d'Hitler. Ce passage révèle tout à la fois la critique que formule Schmitt à l’encontre d'une méthode de pouvoir désormais dépassée par l'histoire, qui n’est plus en contact avec les événements, soit la méthode du vétéran de la vieille Prusse. Et révèle également son attrait pour un principe révolutionnaire qui concevait l'autorité dans un sens charismatique et populaire, selon les postulats implicites d'un communautarisme qui entendait allier tradition nationale et modernité. Le juriste, donc, en principe ennemi des dérives utilitaires de la modernité, préoccupé par l'avancée de la technologie et par la brutale sécularisation des rapports sociaux, se serait trouvé face à la possibilité de construire réellement les bases d'un pouvoir qui réunirait d'un seul coup l'aversion pour le romantisme, représenté par exemple par le vieil Adam Müller, sans nier le noyau de la politique romantique, et plutôt en le renforçant, c'est-à-dire la possibilité de participer à l'érection d'un pouvoir sacré, centré sur le charisme du romantisme.

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Schmitt aurait aussi pensé un équilibre entre théologies prémodernes et eschatologies rédemptrices de la société, telles que les pensaient les utopistes du socialisme pré-marxiste. Le Troisième Reich n'est-il pas en fait apparu comme un régime nouvellement créé mais traditionaliste, basé charistiquement sur le culte du Führer, mais en même temps populaire et communautaire, comme une sorte de socialisme sans Marx ? Tout semblait donc conspirer pour ce rapprochement entre le juriste et le dictateur, qui allait alors, en 1945, coûter à Schmitt la prison et la purge.

Die-Diktatur.jpgLa quadrature du cercle entre le pouvoir hiérarchique et la participation du peuple, entre la figure salvatrice du Guide et l'égalité des droits, a été réalisée par Schmitt à travers l'élaboration d'une sorte de démocratie germanique. Critiquant le concept ecclésiastique de pasteur et de fidèle (ndt : de distinction entre le pasteur « sachant » et actif et les fidèles passifs), Schmitt a écrit dans Staat, Bewegung und Volk en 1934 que "cette vision ecclésiastique est que le pasteur reste absolument transcendant par rapport au troupeau. Ce n'est pas notre concept de la Führung". Le nouveau concept de Führung, de commandement, d'autorité, Schmitt l’a en effet placé dans "l'égalité absolue de la lignée entre le leader et les suiveurs (la suite, die Folge)... Seule l'égalité de la lignée peut empêcher le pouvoir du leader de devenir tyrannique et arbitraire". De ce point de vue de la hiérarchie égalitaire, l'accès populaire aux différents rangs sociaux était garanti par le Führerprinzip, la plate-forme de masse de l'autorité charismatique. L'histoire a donc mis entre les mains de Schmitt un cas concret de théologie politique...

Dans Ex Captivitate Salus, le livre écrit dans la prison de Nuremberg en 1945 et qui représente un de ces moments où "les vaincus écrivent l'histoire", Schmitt a retenu quelques pages relatives à sa célèbre distinction entre Ami et Ennemi, qu'il considère à la base de toute identité forte : ceux qui n'ont pas le bien d'avoir des ennemis, n'ont même pas le bon « heur » de se connaître eux-mêmes. Il est difficile de rester équilibré sur ce sommet, mais c’est néanmoins très indispensable : vivre son ego à travers la diversité de l'autre. Cela signifie se battre pour un monde de différences, présentement détruit, où nous aussi, nous sommes détruits. Schmitt a ajouté une dernière phrase à ces considérations : "Les mauvais sont certainement les annihilateurs qui se justifient au motif que les annihilateurs doivent être anéantis". Que voulait-il dire par là ? N'a-t-il pas pensé aux juges alliés qui l'ont précédé et qui ont accusé les vaincus de crime et de violence, assis tranquillement sur d'immenses ruines, fruits d'autres crimes et d'autres violences ? C'est probablement la vraie sagesse de la cellule. Un testament laissé à l'Europe, mais que les Européens doivent encore – trente-cinq ans après la mort de Carl Schmitt - apprendre à comprendre.

* * *

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Le "Kronjurist" du Reich

Né en 1888 à Plettenberg, en Westphalie, Carl Schmitt a étudié aux universités de Strasbourg (alors allemande) et de Munich, où il a été l'élève de Max Weber. En 1922, il obtient la chaire de droit public d'abord à l'université de Greifswald, puis à l'université de Bonn, et plus tard à celles de Berlin (1926), de Cologne (1932), de nouveau de Berlin (de 1933 à 1945). Il est devenu l'une des personnalités universitaires les plus influentes en Allemagne et a également occupé des fonctions publiques pendant plusieurs années, tant sous le régime de Weimar que sous le Troisième Reich, pendant lequel il a été président de l'Association des juristes allemands. En 1936, cependant, à la suite de certaines controverses idéologiques avec des cercles proches de la SS, il renonce à toute activité en dehors de l'enseignement. Arrêté en 1945 par les Alliés comme l'une des plus hautes autorités culturelles du Troisième Reich, il est emprisonné à Nuremberg et jugé. Absent de tout car empêché de reprendre l'enseignement, il se consacre à ses études et à ses publications jusqu'à sa mort en avril 1985 dans son village natal de Plettenberg. En Italie, après la publication en 1935 des Principes politiques du national-socialisme (Sansoni), à l'instigation de Delio Cantimori, sa pensée est restée inconnue jusqu'à la publication de la première traduction d'après-guerre d'un de ses ouvrages, à l'initiative de Gianfranco Miglio (Le categorie del politica, il Mulino 1972). Il existe aujourd'hui de nombreuses traductions des œuvres de Schmitt. Parmi elles, nous soulignons : La Dittatura (Laterza 1975) ; Romanticismo politico (Giuffré 1981) ; Teoria del partigiano (Il Saggiatore 1981) ; Scritti politico giuridici 1932-1942 (Bacco & Arianna 1983) ; Terra e mare (Giuffré 1986) ; Ex Captivitate Salus (Adelphi 1987) ; Il nomos della terra (Adelphi 1991) ; Teologia politica II (Giuffré 1992). Le livre le plus complet sur la figure et la pensée de Schmitt est J.W. Bendersky, Carl Schmitt théoricien du Reich (Il Mulino 1989).

Extrait de Linea du 19 juin 2005

dimanche, 29 novembre 2020

L'économie en tant qu'idéologie : la racine de tous les maux

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L'économie en tant qu'idéologie : la racine de tous les maux

par Roberto Bonuglia

Ex: https://legio-victrix.blogspot.com

« Le développement économique est devenu une fin en soi, déconnectée de toute finalité sociale ». Bernard Perret et Guy Roustang l'ont écrit dans L'économie contre la société. Face à la crise de l'intégration sociale et culturelle (Paris, Editions du Seuil, 1993). Aujourd'hui comme hier, c'est une déclaration plus que partageable, visant à avertir que l'économie devient de plus en plus une "fin" plutôt qu'un "moyen".

En fait, il suffit de regarder en arrière dans un sens chronologique : en trente ans de mondialisation, l'économie est devenue bien plus qu'une "forme de connaissance de certains phénomènes sociaux". Elle est devenue une "technique économique", s'éloignant à des années-lumière des postulats classiques de ce qui était précisément l'économie "politique".

Dans la société standardisée du troisième millénaire, la logique économique est devenue la mentalité réelle et prédominante qui a fini par guider les relations sociales, uniformisant le bon sens, marginalisant la morale et toutes les formes sociales.

La combinaison de la mondialisation et du néolibéralisme a transformé l'économie en une idéologie. En fait, elle a perdu sa vocation originale et naturelle de traiter du "problème du déplacement des ressources" pour devenir une logique de gestion d'entreprise. Elle a ainsi dangereusement évolué vers une vision univoque du monde et une technique de contrôle et de domination.

« L'économie comme idéologie » peut donc être définie comme la prétention de l'économie à exercer une domination sur la culture et la politique, en leur imposant sa façon de "penser la réalité". Cela pourrait avoir des conséquences qui pourraient être "freinées" tant que la société reste un ensemble relativement homogène avec un fort contenu communautaire. Mais les migrations internes au sein du "village global" et l'aliénation technologique ont "libéré" le contenu idéologique présent - dès le début - dans les théories économiques du conditionnement des faits et des limites imposées par le social.

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C'est pourquoi, comme l'écrit Jean Baudrillard dans La transparence du mal (Paris, Editions Galilée, 1990), l'économie - après la chute du mur de Berlin - est entrée dans "sa phase esthétique et délirante" et est devenue le véhicule des idéologies qui se sont combattues entre elles pendant la "guerre froide" ; elle est devenue elle-même "idéologie", construisant sa propre philosophie sociale, se donnant, en quelque sorte, un vêtement normatif.

L'économie est ainsi passée de la sphère privée à la sphère publique et s'est donné pour tâche de baliser le chemin pour répondre par la force aux attentes du monde globalisé. Toutes ces réponses ont subi un changement radical dans la nature des relations sociales, à travers cette "objectivation de l'échange" - comme l'a dit Simmel - qui élimine d'un coup de ciseaux toute composante émotionnelle ou instinctive de ces relations, en prescrivant qu'elles doivent être organisées pour donner à la réalité une structure stable et à la mutation une direction prévisible : ce qui se passe dans notre société "grâce" au Covid-19. Celui-ci est le test décisif de cette mutation génétique de l'économie qui bascule dans l'idéologie.

Nous avons été témoins - distraits plutôt qu'impuissants - de l'économie comme technique économique qui a remplacé sans hâte mais sans repos l'économie comme forme de connaissance d'un des aspects de la société. Cela a donné naissance à un pouvoir incontrôlé et à un mode de vie basé uniquement sur l'intérêt et le calcul qui a inévitablement déchiré les bases du lien social.

L'élément émotionnel et "pré-rationnel" de la vie individuelle a été éradiqué et nous nous retrouvons aujourd'hui avec des racines coupées : le désert culturel, la socialisation de la culture, la liquidation de toute la culture de la tradition humaniste ne sont que quelques-uns des effets les plus dévastateurs du processus de déconstruction et de reconstruction du monde globalisé de ces trente dernières années.

Aujourd'hui plus que jamais, nous avons donc nécessairement besoin d'une pensée forte et alternative à ce schéma imposé par la contrainte, qui sache retrouver le sens de notre histoire, l'histoire de la culture moderne. Un sens lié - comme il l'a toujours été et de manière indissoluble - à la libération des limites, imposées par le présentisme, dans lesquelles la mentalité économique du néolibéralisme globalisant et la rationalité instrumentale nous ont enfermés. Une route qui est certes ascendante, mais la seule à pouvoir être prise et empruntée.

samedi, 28 novembre 2020

Jacob Taubes : Eschatologie occidentale

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Jacob Taubes : Eschatologie occidentale

Une belle lecture de la structure eschatologique de la pensée révolutionnaire occidentale

par Thibaut Gress

Ex: https://web.archive.org

Une fois de plus, c’est un précieux cadeau que les éditions de l’Eclat ont adressé, par l’intermédiaire de Raphaël Lellouche et Michel Pennetier, aux lecteurs français. En effet, la traduction du seul livre publié par Jacob Taubes de son vivant, Eschatologie occidentale [1] constitue un événement éditorial tout à fait remarquable qu’il convient de saluer, tant cela devrait aider à diffuser la pensée de celui qui, jusqu’à présent, était surtout connu comme interlocuteur de Carl Schmitt. Et, comme pour compléter cette traduction, le Seuil eut au même moment la bonne idée de traduire un recueil de textes, sous le titre de Le temps presse. Du culte à la culture [2] si bien que le lecteur français dispose désormais de l’œuvre majeure de Taubes et d’articles tout aussi essentiels, créant un jeu de renvois à l’intérieur de sa pensée encore méconnue.

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A : Remarques sur l’importance de la préface de Raphaël Lellouche

Raphaël Lellouche – qui sortira bientôt une monographie consacrée à Jacob Taubes – introduit le texte par une très longue préface, dans laquelle il propose une élucidation des rapports de l’auteur d’Eschatologie occidentale avec Carl Schmitt dont le caractère problématique ne cesse d’être rappelé. « S’il faut se garder de faire de la réception de Jacob Taubes une annexe consécutive à celle de Carl Schmitt, leurs contextes sont néanmoins fortement liés. » [3] Et c’est précisément cette liaison entre ces deux auteurs qu’interroge Lellouche dans une préface dense et très informée, qui a le mérite de replacer l’œuvre de Taubes dans une herméneutique de la réception tout à fait aboutie. On n’y trouvera que fort peu d’éléments permettant de comprendre la pensée de Taubes, mais on se plongera dans la genèse de son œuvre et dans les conflits parfois décevants qu’il put entretenir avec Leo Strauss ou Scholem, ces deux derniers accusant notre auteur de singulièrement manquer d’originalité, au point de chercher à bloquer la carrière universitaire de Taubes, notamment à Chicago. L’hypothèse de lecture proposée par Lellouche, qui semble parfaitement valable, consiste à interpréter l’eschatologie occidentale à travers le critère décisionniste issu de Carl Schmitt, au risque d’ailleurs de faire jouer le Schmitt de la Théologie politique contre celui du Nomos de la terre. L’hypothèse est séduisante et disons même subtile car la présence de Schmitt dans Eschatologie occidentale est, lorsqu’on lit le texte, plus que discrète. Parvenir à reconstruire une lecture décisionniste en dépit de la discrétion explicite de cette dernière relève donc d’une hypothèse forte et méritant toute notre attention.

indexjtstp.jpgAbordons maintenant la thèse générale de Taubes, défendue dans cet ouvrage qui, en effet, peut parfois manquer d’originalité ainsi que le déploraient Strauss et Scholem. Lellouche résume fort bien le mouvement même de la pensée à laquelle nous sommes confrontés en identifiant ce courant eschatologique innervant l’histoire même de l’Occident. « L’histoire de l’Occident est un long conflit interne autour de l’enjeu central caché de l’apocalyptique. Dès les premiers siècles, le christianisme tend à se transformer en une mystique du Logos, en même temps que la dimension eschatologique perd son urgence politique et s’intériorise dans un « drame de l’âme » d’échelle cosmique. Ce n’est que résiduellement que l’apocalyptique fait résurgence dans l’ordre chrétien qui s’ouvre sur son refoulement. » [4] L’idée de Taubes est en effet intégralement contenue dans cette pensée d’une eschatologie secrète, courant au cours des siècles, dans le déploiement de l’histoire occidentale et dont il se propose d’étudier les avatars successifs. Il y va donc d’une démarche de décryptage car si eschatologie il y a, cela ne saurait être vraiment explicite dans l’ordre historique de l’Occident : c’est une trame secrète mais récurrente qui devient l’objet des investigations de Taubes, et donc nous allons proposer quelques éléments.

B : Temps et histoire : l’importance de la décision

L’influence décisionniste que Lellouche avait rappelée à très juste titre est extrêmement sensible dès les premières pages de l’ouvrage ; définissant l’eschaton comme la fin, Taubes établit un certain nombre de principes à l’égard desquels il ne variera pas, et qui mettent en jeu la notion de décision de manière plutôt explicite, ce qui constitue une singularité au sein du livre. La question initiale qui ouvre l’ensemble des problèmes est posée sans détour, et guidera l’entièreté des réflexions sur le messianisme et l’apocalypse qui en découleront : « Il est question de l’essence de l’histoire. S’interroger sur l’essence de l’histoire, ce n’est pas se soucier d’événements particuliers dans l’histoire (…). S’interroger sur l’essence, c’est s’écarter de tout cela et porter son regard vers l’unique question : comment l’histoire est-elle possible ? Quel est le fondement suffisant sur lequel repose l’histoire comme possibilité ? » [5] D’emblée, Taubes pose comme problème central la condition de possibilité de l’histoire ; à quelles conditions, l’histoire est-elle possible ? Voilà finalement la seule question à laquelle cet ouvrage va tenter de répondre à travers un examen diachronique des pensées de l’histoire.

9780231520348_p0_v2_s1200x630.jpgLa solution à la question posée réside précisément dans la notion de fin comme eschaton : l’histoire ne semble possible que si, d’une part, se trouve posée une fin et si, d’autre part, entre le passé et la fin se trouve établi un rapport. Le moyen de parvenir à cette fin mettra en œuvre la volonté, et c’est là que l’influence de Carl Schmitt se fait certainement sentir. « Ainsi s’éclaire le rapport entre l’ordre du temps et l’ordre eschatologique du monde. Le sens unique du temps est fondé dans la volonté. » [6] Ce que dit Taubes est intéressant car, pour penser le nécessaire rapport du passé et de l’avenir comme fin, il pose le temps, lequel ne peut être régi que par la volonté : l’ordre temporel n’est rien d’autre que l’affirmation d’une différence entre passé et avenir, ce qui serait une affirmation banale si la volonté ne venait pas structurer cette dernière. « L’ordre du temps, écrit donc Taubes, est fondé sur la distinction du passé et de l’avenir et sur la décision entre passé et avenir. » Voilà donc posé le cadre de réflexion, nettement issu de Carl Schmitt, mais en même temps irrigué par un questionnement de type heideggérien dont Taubes mime le geste de manière presque parodique.

On n’en a toutefois pas tout à fait fini avec l’histoire ; en effet, le détour par le temps ne doit pas faire oublier ce que l’histoire a pour fonction de révéler : il me semble que la réponse de Taubes est ici sans ambiguïtés dans la mesure où l’histoire est tout entière dévolue à la révélation de l’homme à lui-même. « Le chemin de l’homme dans le temps est l’histoire comme révélation de l’homme. Dans l’éon du péché, commence l’Etre comme Temps, dirigé vers la mort. Le temps porte en lui-même le principe de la mortalité. » [7] La manière dont l’homme s’insère dans le temps, par la volonté, désigne précisément le procès historique par lequel l’homme se révèle à lui-même ; or, le temps étant marqué par la mort, il est logique que l’histoire connaisse elle-même une fin, un eschaton ; tel me semble être le principe premier auquel Taubes se livre dans cet ouvrage : justifier l’eschatologie suppose de comprendre le geste temporel par essence fini dans lequel l’histoire vient se lover jusqu’à son terme. La question qui se pose est alors la suivante : quel type de fin l’Occident a-t-il envisagé pour l’histoire ?

C : Exil et sentiment gnostique

A la question précédente, Taubes va d’abord répondre par une ontologie dualiste, dans laquelle le monde et Dieu vont constituer les deux pôles d’une éternelle tension ; et le monde, en tant qu’il n’est pas Dieu, sera conçu comme le lieu même de la déchéance et de la déréliction. Les résonances gnostiques sont ici explicites, revendiquées même, et ce n’est évidemment pas un hasard si Taubes commence l’analyse par l’Evangile du Dieu étranger. Là où Taubes va être percutant, mais guère original, c’est en établissant un lien entre cette vision gnosticiste de l’être et le geste révolutionnaire ; en effet, l’évangile du Dieu lointain, voire du dieu non-étant qu’annonce la gnose, « peut être le mot d’ordre et l’étincelle d’une nostalgie nihiliste-révolutionnaire. Le Dieu opposé au monde, « non-étant » dans le monde, sanctionne l’attitude nihiliste de l’homme à l’égard du monde. Le « Dieu non-étant », et cela signifie « non encore étant », est la promesse violente d’un tournant. Le Dieu non-étant néantise le monde et apparaît alors dans toute sa puissance. » [8] Tout l’ouvrage va donc constituer une étude des postures révolutionnaires présentées comme nostalgiques de ce Dieu éloigné, dont la révolution consistera précisément à résorber l’éloignement par la réalisation ici-bas de l’eschaton.

pmAoowoRzRtoAChFgMsW9Z_GMfo.jpgPlusieurs moments-clés de cette tendance vont être abordés : Joachim de Flore, Kant, Hegel, Marx, Kierkegaard, parmi les philosophes, mais aussi des endroits clés, si l’on peut dire, comme Israël qui va recevoir une caractérisation forte, en tant qu’il est le lieu par excellence de la révolution ; d’abord parce que le geste même d’Israël est celui de l’exil permanent, ce qui n’est autre que le sentiment général du gnostique, étant donné que le gnostique est celui qui a conscience d’avoir perdu sa patrie d’origine, qui a été exilé sur terre et dans le temps, mais aussi parce que l’exil répète le Désert : il y aurait un lien consubstantiel entre l’errance du désert et l’exil des Hébreux. « Ce sont leurs dispositions de type bédouin qui expliquent que les tribus semi-nomades d’Israël sortant d’Egypte n’aient pas élevé leur chef au rang de roi. La théocratie est construire sur le fond anarchisant de l’âme d’Israël. » [9] Si bien que l’on peut affirmer, avec Taubes qu’Israël « est en exil in statu nascendi. » [10] Encore une fois, il ne faut pas prendre ici l’exil dans un sens exclusivement géographique mais il faut y voir l’exil spirituel du gnostique qui, sans cesse condamné à l’errance loin de sa terre d’origine, souhaite néanmoins retrouver cette dernière.

De cette errance, Taubes va en déduire un certain nombre de traits gnostiques, dont les implications sont très nettement empruntées à Hans Jonas, ce qui hypothèque quelque peu la singularité de la démarche de Taubes. Le gnostique est cet être exilé par excellence, qui erre sur terre dans une redoutable contingence ce qui n’est pas sans parenté avec l’être-jeté de Heidegger, dont Jonas avait pu établir toute la dimension gnostique [11] et dont Taubes ne fait que reproduire les analyses. « L’être-jeté, écrit ce dernier, est l’un des symboles les plus insistants de l’apocalyptique et de la gnose, et il signifie que l’homme est placé dans une situation où tout choix lui est retiré. » [12] Bien sûr le choix en question porte non pas sur la liberté humaine mais sur le choix d’être hic et nunc sur terre, ce qui constitue précisément ce sur quoi le gnostique enrage de n’avoir aucune prise : la Geworfenheir de Heidegger semble très nettement inspirée de ce sentiment gnostique.

D : Philosophie eschatologique

Ce sentiment gnostique d’étrangeté à l’égard du monde, dont Taubes étudie les avatars, va se retrouver exprimé dans l’ensemble des postures révolutionnaires qui seront pensées comme une sécularisation politique d’un sentiment apocalyptique : pour le dire plus clairement, la Révolution va être pensée comme la résorption de l’écart entre le Dieu étranger et l’ici-bas, résorption qui ne sera rien d’autre que la stricte mise en œuvre de la structure apocalyptique. « La totalité de l’eschatologie peut être résumée dans la vieille formule apocalyptique : le Royaume de Dieu sur terre. » [13] Autrement dit, cette fameuse fin, ce fameux eschaton autour duquel tourne tout l’ouvrage est ici réinterprété comme la fin de la scission, la fin de l’exil en tant que la bipolarisation sera elle-même résorbée. Cette idée, finalement assez classique, est intéressante en ceci qu’elle repose sur une continuité entre la pensée révolutionnaire dans toute sa variété et la gnose issue de l’antiquité tardive finalement réinterprétée comme un refus de la séparation, ce qui va à l’encontre de l’interprétation dominante. On en trouve d’ailleurs confirmation dans Le temps presse, où Taubes écrit ceci : « Contre l’interprétation dominante de la Gnose, j’ai tenté de défendre la thèse selon laquelle la Gnose de l’Antiquité tardive désigne une crise de la religion monothéiste de la révélation elle-même, dans laquelle la doctrine du Dieu créateur supramondain est mise en doute. » [14] Cette indication est précieuse car elle permet de comprendre qu’aux yeux de Taubes la pensée révolutionnaire n’est rien d’autre que le moyen moderne d’assumer le refus de la transcendance, refus lui-même issu de la gnose de l’Antiquité tardive : pour le dire clairement encore, refuser la transcendance de Dieu, refuser le Dieu de l’Ancien Testament, voilà la source de la révolution qui souhaite incarner ici-bas l’entièreté de la vérité de l’Etre. Tout est immanent, et cet immanentisme s’enracine dans l’ordre gnostique. Cela ne signifie pas que le monde autre n’existe pas, mais cela signifie qu’il va falloir le ramener sur terre le plus rapidement possible en inversant l’ordre des choses.

9783846760567.jpgTaubes va fort logiquement accorder une place éminente à Joachim de Flore dans ce processus, dont il analyse subtilement le fameux transire qu’il rapproche de l’Aufhebung hégélienne, ainsi qu’à Thomas Münzer, pour lequel l’âme va se débarrasser de tous ses oripeaux pour renverser les puissances terrestres, afin qu’advienne ici et maintenant le règne de Dieu. Avec ces deux personnages, nous sommes en face de deux grands penseurs qui auront tenté de théoriser le moyen de dépasser dans l’immanence la simple condition mortelle. Et à partir de ce moment, toute la pensée, nous dit Taubes, va aller dans le sens d’une résorption sans cesse croissante de l’écart entre l’ici bas et la transcendance.

Cela va être vrai avec Kant dont Taubes semble surinterpréter le côté copernicien. A ses yeux, « le système kantien est la philosophie de l’humanité copernicienne. Le monde copernicien est une terre au-dessus de laquelle ne se voûte aucun ciel, archétype de la terre. L’humanité ne se rapproche donc pas de son essence quand elle rapproche le monde d’un archétype au-dessus d’elle. Puisque l’espace entre ciel et terre a perdu toute signification, l’humanité copernicienne cherche à révolutionner le monde selon un idéal qui, en tant que postulat, ne peut être réalisé qu’au cours du temps. » [15] La philosophie kantienne est celle de la possibilité pour l’homme de se concentrer sur l’ici-bas, le monde, en tant que seule région ontologique finalement dotée de sens. L’analyse menée ne semble pas toujours très convaincante, d’une part parce que Taubes minore considérablement l’importance de la finitude chez Kant, ce qui rend problématique un tel énoncé : « la philosophie de Kant est la philosophie l’humanité prométhéenne. » [16] ; et d’autre part, il ne prête nulle attention à la dimension tout à fait hypothétique des postulats de la raison pratique, si bien qu’il fait comme si Kant avait théorisé une autonomie du salut, alors même que celui-ci est entièrement subordonné à un postulat aux résultats parfaitement aléatoires du point de vue rationnel. Mais cela tient peut-être aussi au fait que Kant n’est pas ce que l’on pourrait appeler un révolutionnaire réel, à tout le moins au sens apocalyptique du terme.

Plus convaincantes se trouvent être les analyses de Hegel dont Taubes cherche à enraciner la logique dans la gnose, ne faisant là que reproduire les célèbres analyses de Christian Baur dans la Gnose chrétienne, ce qui en limite une fois de plus l’originalité. Il relie Hegel à Joachim de Flore, dont les visions apocalyptiques de celui-ci seraient reprises par celui-là dans l’idée d’une fin de l’Histoire. « Comme Hegel se sait à la fin de la dernière époque du monde chrétien, Joachim se voit placé au début de cette époque du monde : tous deux savent qu’ils sont au tournant. » [17] Cela est sans aucun doute discutable, mais contient certainement une part de vérité, tant il est vrai que les sources hégéliennes sont souvent plus hermétiques qu’on ne veut bien le dire. Taubes, toujours en suivant Baur, est ainsi amené à écrire ce constat qui est, lui aussi, riche de sens : « L’esprit fini de Hegel est identique à la psychè gnostique. » [18]

escatologia-occidentale.jpgL’accomplissement de ces pensées, toujours pour Taubes, n’est autre que celle de Marx (et, dans une moindre mesure, celle de Kierkegaard) : « Si Marx philosophe sans Dieu et Kierkegaard devant Dieu, ils partagent cependant le même présupposé : la décomposition de Dieu et du monde. » [19] Marx va reprendre tout à la fois le sentiment gnostique de nécessité de résorber l’écart, donc d’accomplir ici-bas la fin, tout en reprenant une idée très gnostique elle aussi, à savoir le fait que le monde, dans sa marche habituelle, est saturée de mal, lequel fait des hommes des marionnettes prises dans une déchéance qu’ils n’ont pas voulue. Pour le dire clairement, non seulement l’homme est ici-bas contre sa liberté, mais de surcroît, être ici-bas signifie être jeté dans le mal ; la description du capitalisme revient alors à décrire le mal qui frappe le monde et dont la sortie consistera une rédemption. « C’est de ce point de vue qu’il faut remettre en perspective le « déterminisme », souvent incompris, de la structure intellectuelle de l’apocalyptique marxiste. » [20] Et à ce sentiment gnostique, Marx va ajouter les élaborations philosophiques précédentes, celles de Lessing, Kant et Hegel : « Avec Hegel, le maître à penser de Marx, nous sommes arrivés au but, c’est-à-dire au marxisme. Si un pont entre Lessing et Marx peut être construit, est alors également donnée la relation (de Marx) au chiliasme sur lequel Lessing se fonde. Ainsi il sera prouvé que, non plus seulement sur le plan dogmatique, mais aussi sur le plan historique, le marxisme n’est qu’un enfant du nouveau chiliasme » [21]

Ce livre a finalement le défaut de sa qualité ; sa qualité est d’avoir été capable de synthétiser un certain nombre de lectures, que ce soient celles de Jonas ou de Baur, pour établir une vision puissante et à peu près cohérente du développement de la gnose dans l’histoire occidentale ; mais sa limite réside précisément en ceci que, par rapport à Baur et Jonas, et même à Voegling, il n’apporte pas grand-chose. Pour ceux qui ont lu les auteurs cités, ainsi qu’Harnack et quelques autres, les liens étaient déjà faits, et la forme révolutionnaire dont Marx est l’accomplissement était déjà pensée, depuis longtemps, comme une sécularisation du sentiment apocalyptique et / ou gnostique. Ce qui est intéressant, en revanche, c’est peut-être l’interprétation du sentiment gnostique que donne Taubes : si le gnostique se sent bien étranger au monde, Taubes n’en déduit pas forcément qu’il faille renoncer au monde, mais bien plutôt faire de ce dernier le lieu même de l’accomplissement en vue de mettre fin à ce détestable sentiment d’exil. Là se joue quelque chose d’intéressant, car le retour à la patrie réelle n’est rien d’autre dans ce cas que la découverte d’une possibilité de réaliser hic et nunc le salut, ce que proposent les postures révolutionnaires. Au-delà de cette interprétation neuve du sentiment gnostique, sachons gré à Taubes de rappeler combien certaines pensées, prétendument areligieuses, se trouvent en réalité saturées de présupposés théologiques, et secrètement parcourues de sentiments eschatologiques. Ce simple fait mérite que l’on accorde toute son attention à cette belle Eschatologie occidentale dont on trouvera de nets échos dans le remarquable ouvrage de Heinz Dieter Kittsteiner, Marx Heidegger. Les philosophies gnostiques de l’histoire. [22]

Notes

[1Jacob Taubes, Eschatologie occidentale, Traduction Raphaël Lellouche et Michel Pennetier, l’Eclat, 2009

[2Jacob Taubes, « Le temps presse », du culte à la culture , traduction Mira Köller et Dominique Séglard, Seuil, 2009

[3Raphaël Lellouche : « La flèche des amis. La guérilla herméneutique de Jacob Taubes » in Jacob Taubes, Eschatologie occidentale. Op. cit., p. XVI

[4Ibid. p. XXVIII

[5Jacob Taubes, Eschatologie occidentale, p. 3

[6Ibid. p. 4

[7Ibid. p. 9

[8Ibid. p. 12

[9Ibid. p. 22

[10Ibid. p. 29

[11cf. Hans Jonas, La religion gnostique. Le message du Dieu étranger et les débuts du christianisme., Flammarion, 1992

[12Taubes, Eschatologie occidentale, p. 36

[13Ibid. p. 105

[14Jacob Taubes, Le temps presse, op. cit., p. 138

[15Taubes, Eschatologie occidentale, p. 170

[16Ibid. p. 177

[17Ibid. p. 119

[18Ibid. p. 201

[19Ibid. p. 10

[20Ibid. p. 42

[21Ibid. pp. 169-170

[22Heinz Dieter Kittsteiner, Marx Heidegger, les philosophies gnostiques de l’histoire, Traduction Emmanuel Prokob, Cerf, 2007

mercredi, 25 novembre 2020

Kondylis on Conservatism with Notes on Conservative Revolution

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Kondylis on Conservatism with Notes on Conservative Revolution

Fergus Cullen

Ex: https://ferguscullen.blogspot.com

Notes on Panagiotis Kondylis, “Conservatism as a Historical Phenomenon.” This is to my knowledge the only substantial excerpt from Kondylis’ Konservativismus (Stuttgart, 1986) available in English. The translation is by “C.F.” from “Ὁ συντηρητισμὸς ὡς ἱστορικὸ φαινόμενο,” Λεβιάθαν, 15 (1994), pp. 51–67, and remains unpublished, but discoverable in PDF format online. Page references below are to that PDF. I have altered the translation very slightly in some places.

Kondylis aims to understand conservatism not as a “historical” or “anthropological constant,” but as a “concrete historical phenomenon” bound to, and thus coterminous with, a time and a place (pp. 1–2). But even such historicist scholarship often takes too narrow a view, according to which conservatism is a reaction against, and thus “derivative” of, the Revolution, or, at best, against Enlightenment rationalism (pp. 2–3).

Kondylis disputes the conception, often a conservative self-conception, of conservatism as an expression of the “natural […] psychological-anthropological predisposition” of “conservative man” to be “peace-loving and conciliatory” (pp. 5–6). On the contrary, conservatism and “activism” are perfectly compatible, as the “feudal right of resistance and ‘tyrannicide,’ the uprising and rebellion of aristocrats against the throne” shows (pp. 7–8). This is a point against the claim by Klemperer and others that the activism of Conservative Revolutionists is fundamentally unconservative.

“[L]ove and cultivation of tradition” as a “legitimation” of noble privileges is an expression of those nobles’ will to self-preservation and “sense of superiority.” Kondylis posits such a universal will, in place of a conservative disposition at war with a revolutionary “urge to overthrow” (at least as concerns the history of ideas: pp. 8–9).

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Kondylis also disputes the self-conception (“idealised image”) of the conservative as uncritically traditionalist and sceptical of “intellectual constructions,” based upon “the erroneous impression that pre-revolutionary societas civilis did not know of ideas and ideologies, both as systematic intellectual constructions and as weapons” (pp. 9–10). Mediaeval “theological” systems are the equals of modern ideologies in “argumentative refinement,” “systematic multilateralism” and “pretension to universal” (or “catholic”) “validity” (p. 10). Conservatism consists in the “reformulation” of the “legitimising ideology of societas civilis” into an “answer” to the Enlightenment and Revolution (pp. 10–1).

Modernity, for Kondylis, comes about, in part through “lively ideological activity,” not as a result of the “anthropological constitution” of certain persons (intellectual disposition), but as an expression of their basic will to self-preservation, which, given their “lack of weighty social power had to be counterbalanced by their pre-eminence on the intellectual front”; and so conservatives responded in kind (polemic, theory, etc.). The partisans of modernity (“foes of the social dominance of the hereditary aristocracy”) made the first crucial step into political discourse in the modern sense, and were thus “much more intensively reflexive,” just as conservatism is generally purported to be (pp. 11–2).

This, “the importance of theory among the foe’s weaponry,” is also the origin of conservatism’s “purely polemical abhorrence” for intellectuality (p. 12). Not only should conservatism’s professed anti-intellectualism be taken as suspect; but in certain intriguing cases, it should be understood as a sort of demonstration of a theoretical understanding of theory’s (intellectuality’s) role in “Progress” (“Decline”). As Kondylis says: “only theoretically could the idealised description of a ‘healthy’ and ‘organic’ society be made which is not created by abstract theories, nor does it need them” (p. 13).

This “vacillation and indecisiveness” of conservatism re. intellectuality, “Reason,” etc. (i.e. this apparent performative—if not contradiction then—tension, ambiguity), mirrors the tension in the intense ratiocination by Mediaeval theology to show the limits of man’s reason, or by Enlightenment sentimentalism or modern Lebensphilosophie to set instinct above intellect (p. 13). This “indecisiveness” (a telling word, when one recalls Kondylis’ contributions to décisionnisme) and the accompanying unsystematicity and proliferous variety of conservative thought is “natural” to “all the great political—and not only political—ideologies” (pp. 13–4; see part 2 here).

49210108._SX318_.jpg“[C]ommonplaces of conservative self-understanding and self-presentation have crept […] into the scientific discussion,” such as “the coquettish enmity of conservatives towards theory.” The prioritization of the “concrete” over the “abstract” is itself, or relies upon, an abstraction (p. 15).

Kondylis dichotomizes “conservative” and “revolutionary” politics (p. 17).

“Prudent and sagacious adaptation to circumstances and conditions, of which conservatives are so proud, is carried out as a rule under the foe’s pressure”; the foe “pushes conservatives to adopt a defensive or good-natured and easy-going stance”; “conservatives discover their sympathy for ‘true’ progress, and […] talk of the dynamic organic development […] of society and of history” (p. 18). Conservatives are compelled to make certain concessions to modernity. To anticipate my own arguments a bit: revolutionary conservatism is a concession, but, loosely speaking, to the form and not the content of modernity. That is, the conservative revolutionary accepts, must accept, industrialisation, the dissolution of “organic society,” the instrumentalisation of man, secular discourse as the space of (even religious) political discourse, “mediatisation,” mass communication, etc., and wishes to put these at the service of “conservative,” “rightist” principles: that is, abstractions from the concrete expressions that gave birth to conservatism.

Sometimes conservative principles are, or seem to be, expressed concretely without conservative effort, or as a result of “the foe’s” effort, who, “by struggling for the consolidation of his own domination, cares for, or is concerned with, compliance with law, with hierarchy and with property (legally or in actual reality safeguarded and protected)—of course, with different signs and with different content” (p. 20). A liberal or democratic, bourgeois or proletarian “conservatism” can form on this basis, opposed, it would seem as a general rule, by conservative revolution (the bifurcation of C.R. and “mere conservatism”).

Both conservatives and revolutionaries posit “natural” laws or a “natural” condition of man; but both struggle to answer, in the conservative case, the apparently natural development of unnatural conditions (Revolution, “Progress,” “Decline”), or, in the revolutionary case, the apparent primordiality of unnatural conditions (inequality, exploitation, etc.: p. 21). We might add that the revolutionary also struggles to answer how, as suggested in the previous paragraph, his own efforts seem to not only lead to such conditions but instantiate, express concretely, his enemy’s, the conservative’s, principles. Here we approach theodicy.

On Kondylis’ model, conservatism is the ideological expression of noble privilege and of “the resistance of societas civilis against its own decomposition”: against the rise of the bourgeoisie, Enlightenment rationalism, democratisation, etc., apparently ending with “the sidelining of the primacy of agriculture by the primacy of industry”; thereafter “there can be talk of conservatism only metaphorically or with polemical-apologetic intent” (pp. 22–3). Schema: conservatism — liberalism — socialism, in which each overcomes the prior term to culminate in a questionable postmodernity in which “every [concept] passes over into, or merges with, another, and none of them are precise,” indicating “that the end of that historical epoch, from whose social-political and intellectual life they partially or wholly drew their content, is, in part, near and approaching, and has, in part, already come” (p. 23).

The reason to posit a conservative-revolutionary current within this categorially confused, and thus not yet quite navigable, postmodernity is that something, a new (proto-) category, does emerge out of and in tandem with the first warning tremors postmodernity (industrialisation and mass democracy: the late nineteenth and early twentieth century, with the Great War as the first in a series of watersheds). To wit, a conscious or subconscious radicalisation and abstraction of conservative principles, at whose service certain aspects of late modernity are put (see above).

lundi, 23 novembre 2020

Prolégomènes à une lecture maistrienne des temps présents

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Luc-Olivier d’Algange

Prolégomènes à une lecture maistrienne des temps présents

         Que sont les temps présents ? Sommes-nous encore assez naïfs pour croire que notre situation chronologique, le seul fait d'y être, nous donne un quelconque privilège, un apanage particulier de discernement ? Tout porte à croire, au contraire, que nous ne pouvons pas davantage voir la forme de notre temps que le génie des Mille et une nuits enfermé dans sa lampe à huile, ne peut voir, avant d'en être délivré, l'objet qui l'emprisonne. Etre vraiment présent aux « temps présents » exige que nous éprouvions le désir de nous en évader. Celui qui n'éprouve pas la nostalgie de quelque liberté plus grande, celui qui se contente des limites qui lui sont assignées demeure dans une obscurité rassurante. Si nous passons du monde des Mille et une nuits à celui du dialogue platonicien, nous sommes amenés à comprendre qu'à l'intérieur des temps présents, ce n'est pas seulement la réalité de ces temps qui nous échappe mais notre propre réalité qui s'avère ombreuse. La question « que sont les temps présents ? » devient alors une mise en demeure à ne point nous satisfaire des seules ombres qui bougent sur les murs de la Caverne. Ces temps ne sont point ce qu'ils paraissent être. Pour les considérer avec quelque pertinence, il nous faudra accomplir un renversement herméneutique, c'est-à-dire un acte de compréhension surnaturel. Quand bien même, au comble du scepticisme, nous ne considérerions la divine Providence que comme une hypothèse, celle-ci ne s'avère pas moins nécessaire à cet « ex-haussement » qui est la condition nécessaire à tout regard sur les temps présents.

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Les Soirées de Saint-Pétersbourg nous apportent non seulement des lumières sur ce que René Guénon nommait les « signes des temps » qui nous demeurent en général indéchiffrables, elles nous invitent également à comprendre les temps présents dans la perspective de la  divine Providence. Otons la Providence et toute considération des temps présents devient non seulement impraticable mais absurde car ces « temps » cessent alors d'exister en tant que tels. La notion même d'époque, que certains historiens modernes (ayant le mérite d'être logiques avec eux-mêmes) récusent, ne se laisse comprendre que par la possibilité d'une vision surplombante, très-exactement providentielle. On peut, certes, nier la notion d'époque, ne considérer que des rapports de force sociologiques ou économiques, la plus superficielle observation de l'architecture et des styles suffit à nous convaincre de la réalité sans conteste des « époques ». Le style gothique diffère du style roman, comme le style classique diffère du style gothique. Le seul fait de leur éloignement dans ce qu'il est convenu de nommer le passé nous donne la possibilité de les considérer du regard même de la divine Providence. Les temps présents seuls semblent, en nous, se refuser à ce regard alors que du point de vue de la Providence ils sont, eux aussi, déjà accomplis, achevés et dépassés. L'aveuglement du Moderne consiste à ne pas voir son temps comme un temps, son époque comme une époque. Une singulière et persistante vanité lui prescrit de voir son temps (qu'il refuse de considérer en tant qu'époque) comme l'espace indéfini du meilleur des mondes possibles. A la perspective surplombante de la Providence, il substitue le déterminisme qui est à la Providence ce que la « lettre morte » est à « l'Esprit qui vivifie ». Faute de pouvoir lire providentiellement notre époque d'un point de vue ultérieur qui en fera une époque passée, il demeure cependant possible d'apprendre à la lire du point de vue des Soirées de Joseph de Maistre, ce qui reviendra sans doute au même. Certaines œuvres n'appartiennent au passé que par la profonde méprise des Modernes sur les œuvres en général et sur le passé en particulier.

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Nous ne sommes plus aux temps des mésinterprétations, qui sollicitent la rectification, mais aux temps de la méprise qui interdisent toute interprétation bonne ou mauvaise. L'œuvre de Joseph de Maistre non seulement n'appartient pas au passé mais il nous apparaît comme fort probable que ce qu'elle avait à nous dire n'a pas encore été entendu. L'œuvre de Joseph de Maistre n'est si étrangère aux Modernes que parce qu'elle les informe avec exactitude sur ce qu'ils sont: expérience désagréable dont on se dispense, c'est humain, aisément ! Les œuvres que les Modernes s'efforcent de tenir à distance, en les reléguant dans un passé qu'ils inventent à leur image, sont précisément celles qui s'adressent à eux et dont, par un paradoxe admirable, le déchiffrement, la lecture, ne peut être faits que par eux. Certaines œuvres, ainsi que Heidegger l'écrivait à propos des Grands Hymnes d'Hölderlin, demeurent « en réserve », leur sens exigeant, pour se déployer, l'advenue d'une autre époque. Heidegger nous dit aussi que certaines vérités aurorales ne peuvent être véritablement comprises qu'à la tombée du soir. Tel est précisément le sens de l'interprétation « providentialiste » de Joseph de Maistre: le soir, le déclin, voire la destruction des formes trouvent leur sens dans la possibilité d'une compréhension plus haute et plus vaste des heurts et des malheurs historiques que nous subissons. Si, ainsi que l'écrivait Raymond Abellio, en une perspective husserlienne, « la conscience est le plus haut produit de l'être », le désastre historique, s'il élève notre conscience dans son propre dépassement, se trouve justifié. Ainsi la catastrophique Révolution française trouve son sens dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg. Que si Joseph de Maistre n'eût rien écrit, le sens des événements, en demeurant celé, se fût détruit pour le plus grand triomphe du Mal.

         Quiconque garde les yeux ouverts, sait bien que lorsque le soir tombe, les couleurs, un moment, s'avivent d'une ferveur plus intense. Nous ne discernons bien le don de la lumière, les couleurs, qu'à ce moment où elles sont sur le point de s'effacer. Le sens culmine dans le déclin de toutes les significations, les Principes s'exaltent à l'époque du déclin et de la destruction de toutes les valeurs. Les Soirées, quoiqu'on en veuille, sont bien nos soirées, et c'est à notre déclin français et européen qu'elles s'adressent. Les Soirées ne sont pas tant « en avance sur leur temps » que sur le temps lui-même: ce qu'elles tentent en interprétant les œuvres de la divine Providence n'est rien moins que de nous soustraire à notre ignorance déterminée.

        md16660217470.jpg A mesure que nous nous éloignons de l'interprétation de la divine Providence, à mesure que nous nous emprisonnons dans notre refus d'être nous-mêmes interprétés par la Providence et plus nous nous soustrayons du sens, plus nous renonçons au pèlerinage pour vagabonder ; plus encore nous nous trouvons soumis, enchaînés, dépossédés, ombreux, somnambuliques. Il y a une allure propre à l'homme moderne, lente et lourde, hypnotisée et harassée. Le propre du somnambule est d'ignorer qu'il somnambulise. Quiconque s'avise de le réveiller suscitera sa rage meurtrière. Dans ce faux-sommeil nos songes sont téléguidés et nous conduisent. La difficulté à faire entrer nos contemporains dans la perspective métaphysique de Joseph de Maistre, leur antipathie instinctive pour toute considération  de cette sorte tient sans doute à  cette étrange addiction léthéenne. L'acte de pensée exige un effort, et de cet effort, il semble bien que les idéologies modernes soient les éminentes ennemies. Elles pourvoient inépuisablement à notre désir de ne pas penser, d'échapper à la perplexité, à l'inquiétude que suscite en nous l'idée d'une Providence. L'écrivain japonais Yasunari Kawabata définit le propre de son art comme l'exercice de ce qu'il nomme « le regard ultime »: « Si la nature est belle, c'est parce qu'elle se reflète dans mon regard ultime. »

         Qu'est-ce qu'un regard ultime ? Est-ce voir le monde comme pour une dernière fois ou bien voir le monde comme s'il était sur le point de disparaître ? L'imminence de la catastrophe ou de la disparition aiguise le regard. La mise en demeure faite à l'entendement humain de considérer le sens du monde dans l'ultime regard que nous posons sur lui, loin de nous assourdir de terreur, de nous enfermer en nous-mêmes dans le pathos désastreux du refus de cesser d'être, avive au contraire les sens eux-mêmes: « Dans l'univers transparent et limpide comme  un bloc de glace, écrit Kawabata, d'un moine qui médite, le bâton d'encens qui se consume peut faire retentir le bruit d'une maison qui s'embrase dans un incendie, et le bruissement de la cendre qui tombe peut résonner comme un tonnerre. Il s'agit là d'une pure vérité. Le regard ultime fournit la réponse à bien des mystères dans le domaine de la création artistique. » Pour échapper au déterminisme qui nous exile de la compréhension du moment présent, pour œuvrer à la recouvrance des sens et du sens, à leur exaltation dans l'imminence de la beauté absolue, il faut méditer et trouver au cœur de sa méditation le secret limpide du « regard ultime ».

         41VVJ7ZD72L._SX308_BO1,204,203,200_.jpgLes Soirées de Saint-Pétersbourg me semblent une méditation de cette envergure à nos usages français. Les voix qui s'entrecroisent au-dessus du cours du fleuve qui s'abandonne dans le soir édifient doucement, songeusement, une impondérable demeure de sérénité au-dessus des malheurs du temps. La conversation (et l'on ne saurait assez redire à quel point toute civilité, toute politique digne de ce nom, tout bonheur humain dépendent avant tout de l'art de converser) éveille, par touches successives, ce qui, dans l'entendement humain, s'est ensommeillé. Ces échanges poursuivent avec délicatesse le dessein de nous éveiller peu à peu de nos torpeurs.  Sans doute a-t-il échappé aux quelques bons auteurs qui crurent voir dans les Soirées l'expression d'une pensée « fanatique » ou « totalitaire » que l'auteur désire à peine nous convaincre, à nous établir dans une conviction. On chercherait en vain, chez Joseph de Maistre, homme de bonne compagnie, cette compulsion à subordonner l'interlocuteur à ses avis par l'usage du chantage moral. Si quelques certitudes magnifiques fleurissent de ces entretiens, c'est dans l'entrelacs des voix humaines. Le lecteur auquel s'adresse Joseph de Maistre n'est point obligé à changer en mot d'ordre ou de propagande ces corolles de l'Intellect. Ce qui est exigé de lui, en revanche, c'est bien de se tenir attentif entre les échanges, d'être à l'affût entre les questions et les réponses qui ne sont elles-mêmes que de nouvelles questions. C'est à ce titre seulement qu'il pourra être au diapason de sa lecture, non par une adhésion, mais comme un quatrième interlocuteur.

         S'il n'y a point à proprement parler de « système » dans les Soirées, il y a bien une logique et cette logique suppose que le lecteur comble, par ses propres inspirations, la place laissée vacante aux côtés du Chevalier, du Comte et du Sénateur qui s'entretiennent courtoisement à la tombée du jour. Faute d'avoir compris cela, la logique maistrienne nous demeure celée. Que par une disposition particulièrement heureuse de la Providence le quatrième interlocuteur soit d'un autre temps que les trois autres, c'est là une chance particulière qui nous est offerte de « justifier les voies de la Providence même dans l'ordre du temporel. »

         Telle est bien l'heureuse, l'opportune inquiétude dans laquelle nous jettent les Soirées. Le regard ultime nous somme de douter de notre identité. Qui sommes-nous, qui pouvons nous être ? Sommes-nous encore à la hauteur de l'entretien ? De quelle nature est notre invisible présence à ces considérations qui s'échangent harmonieusement ? La force des œuvres philosophiques dialoguées tient ainsi, par-delà la résistance aux systèmes, à cette précipitation chimique d'une identité que l'auteur ne pouvait que deviner, suggérer ou prédire mais dont la présence rend nécessaire le dispositif intellectuel qui la circonscrit. Aussitôt sommes-nous délivrés de la prison de glace qui est le rôle du spectateur, aussitôt notre pensée s'est-elle emparée de la pensée qui court et se ramifie, qui chante et bruisse comme les feuillages du Soir que nous voici sollicités de faire exister, par notre entretien avec eux, le Comte, le Sénateur et le Chevalier. Nous existons par eux, notre pensée est requise à l'effort de spéculation et de remémoration par leur existence inventée mais, en même temps, nous savons qu'ils n'existent point sans nous, sans notre lecture attentive. Les Soirées, en tant qu'œuvre philosophique dialoguée, nous initient à cet abîme théorique du quatrième interlocuteur qui demeure non pas un pur néant mais une place vacante, une pure possibilité tant que nous ne sommes pas encore intervenus dans l'entretien.

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Cet abîme, certes, n'est point l'abîme de l'inconscient, cher aux psychanalystes; il faudrait plutôt évoquer l'image d'un « abîme d'en-haut », d'un abîme lumineux. Toute œuvre véritablement philosophique en vient ainsi à nous persuader de trouver une raison à ce que nous sommes, une raison d'être à être là où nous sommes et non point ailleurs. L'idée même de divine Providence pourvoit magnifiquement à cette exigence philosophique. Nous sommes là, et pourquoi pas ailleurs ? Nous sommes là exactement pour voir ce qui ne peut être vu que de ce point de vue particulier, et de nul autre.

         Le providentialisme de Joseph de Maistre n'est pas un simple quiétisme; il garde du dix-huitième siècle dont il est l'héritier la volonté de savoir et d'agir. Il ne s'agit pas seulement consentir mais de connaître, de discerner et d'agir. Si de grands désastres nous ont conduits là où nous sommes, si, plus singulièrement encore, nous nous trouvons à telle intersection inquiétante des temps, ce n'est que pour mieux exercer notre intelligence. L'instrument exige la musique qui l'inventa. Notre intellect se dévoue providentiellement à comprendre ce qui s'offre à notre entendement et le temps et le lieu où nous nous trouvons ne sont pas hasardeux ou gratuits. Ils sont, au sens propre, un privilège. Que ce privilège fût terrible quelquefois n'ôte rien à la faveur singulière où la divine Providence nous tient.

         Seule l'outrecuidance humaine la plus grotesque peut croire détenir la vérité comme un « tout ». La vérité n'est pas un tout, elle n'est qu'apparitions, intersections, éclats ! La pensée, le sens, ne sortent point de la bouche des hommes, ils surgissent de la rencontre. Où se trouve la pensée sinon entre les pensées ? Toute véritable philosophie est essentiellement dialogue car elle reconnaît que la pensée naît de cet espace intermédiaire qui mystérieusement unit et sépare les interlocuteurs. Que la Providence offrît à nos regards tel pays, tel temps parmi une infinité d'autres, loin d'être le seul fait du hasard ou de la nécessité (notions bâtardes et tautologiques inventées pour ne point nommer la Providence) ne serait-ce point la formulation d'une exigence ? Vous êtes , et ce site exige d'être connu. Tel éclat de la gemme s'adresse particulièrement à vous, elle sollicite votre attention et votre réponse dans l'énigme qui vous est dédiée.

         Les hommes de bonne compagnie qui s'entretiennent à Saint-Pétersbourg nous donnent, à nous lecteurs, la chance  de douter de notre habituelle outrecuidance en faisant de nous leur hôte. Or, l'hôte est à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Pour être digne de l'hospitalité que nous font le Comte, le Chevalier et le Sénateur, la moindre des choses est de les recevoir à notre tour dans notre temps. Comment ne pas voir que ce fleuve du temps où débute leur entretien est bien là pour les conduire jusqu'à nous ? Qu'auront-ils à dire de notre temps ? Tout autre chose que qu'ils dirent du leur mais, entendons-nous, un « autre chose » qui confirmera au plus haut point la pertinence de leurs considérations antérieures. Le propre des penseurs que l'on qualifie un peu promptement de « réactionnaires » est en général de gagner en pertinence à mesure que s'écoule le fleuve du Temps. Observons l'œuvre de cette croissante pertinence.

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Le propre des temps modernes est de nous enlever ce qu'ils se vantent de nous offrir. Les maîtresses de ce temps furent, sous le signe de la communication de masse, la propagande et la publicité. L'une et l'autre sont, par nature, mensongères. « L’Etat français » du Maréchal nous vendit et nous vanta l'Etat, la France, la Nation, alors même qu'il consentait tout de même à ce que nous en fussions dépossédés. De même, nos démocraties libérales nous vantent, et nous vendent, la liberté individuelle alors même que triomphent le grégarisme et une société de contrôle dont le puritanisme et les rigueurs outrepassent, dans les faits, les despotismes les plus sourcilleux. La liberté et l'individualité nous sont vendues, mais cette transaction même nous prive de notre liberté et de notre individualité. L'échange opéré nous laisse l'ersatz en place de l'authentique. S'il est quelque honte à s'avouer floué, le Moderne y cède outrancièrement et rien n'est plus difficile que de lui faire admettre sa méprise. Sa liberté vendue, décrétée et vantée lui est aussi douce que l'esclavage. Pourquoi voudrait-il rendre cette fausse monnaie, puisqu'elle fait usage et qu'elle lui épargne d'avoir à exercer une liberté dont la vérité consiste en une épreuve ?

         La liberté est une épreuve, elle s'éprouve, elle brille et brûle. La facilité nous incline à lui préférer sa représentation abstraite, sans conséquences, sans périls ni enchantements. Le génie du monde moderne est d'avoir inventé une race d'esclaves qui proclame et chante, dans l'hébétude généralisée, la liberté et la raison auxquelles elle renonce. « Mais les fausses opinions, écrit Joseph de Maistre, ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d'abord par de grands coupables et dépensée ensuite par d'honnêtes gens qui perpétuent le crime sans savoir ce qu'ils font. » Les mille atteintes constantes dont furent l'objet toutes les autorités de la religion, de l'intelligence, du droit ou du style depuis plus de deux siècles font que l'ignorance, la bêtise, la vulgarité non seulement ne sont plus réprimées, ni même contenues, mais qu'elles s'affichent, règnent, font leurs lois et vont jusqu'à établir une sorte d'étrange religion où les superstitions les plus ineptes se mêlent au pouvoir le plus vain, le plus clinquant et le plus hystérique. « Qu'un monarque indolent cesse de punir, écrit Joseph de Maistre, et le plus fort finira par faire rôtir le plus faible. La race entière des hommes est retenue dans l'ordre par le châtiment, car l'innocence ne se trouve guère et c'est la crainte des peines qui permet à l'univers de jouir du bonheur qui lui est destiné. »

 A chaque défaillance de l'Autorité correspond un abus de pouvoir. Ces temps « où le plus fort fait rôtir le plus faible », comment nier que le vingtième siècle nous y a fait entrer en grande pompe révolutionnaire, nationale, romantique et même « humanitaire ». L'abstraction des « Droits de l'Homme » nous est vendue contre la possibilité effective de sauvegarder la simple dignité des êtres et des choses. Que la proclamation même de ces Droits eût été immédiatement suivie par la Terreur, qui en démentit chaque ligne, que cette Terreur fût l'expression de ces « Droits » antiphrastiques, une lecture maistrienne des temps présents permettrait de nous en aviser. Il est vrai que bien avant Joseph de Maistre, Démosthène avait tout compris: « Or, cette force des lois, en quoi consiste-telle ? Est-ce à dire qu'elles  accourront pour assister celui d'entre vous qui, victime d'une injustice criera à l'aide ? Non: elle ne sont qu'un texte écrit, qui ne saurait posséder un tel pouvoir... » Le faible, c'est-à-dire, en nos temps démocratiques, le Pauvre, lorsque s'étiolent les autorités, voit moins que jamais les lois accourir à son secours, et encore moins au secours de la liberté et de la grandeur d'âme. D'où la tentation de l'esclavage consenti qui donne l'illusion d'être protégé par la masse de ses semblables, non certes que ceux-ci eussent des générosités ou des solidarités notables; mais tant que dure l'illusion, ce qu'il y a en nous de moins inquiet et de moins audacieux s'en satisfait.

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L'individualisme de masse du monde moderne a ceci d'odieux à tout esprit formé par la Tradition qu'il transforme les individus en insectes. Chacun semble aller à sa guise, mais tous ne forment qu'un organisme, un « Gros Animal » comme disaient Platon et Simone Weil, où la part la plus lumineuse et la plus ténébreuse de l'inquiétude humaine se trouve réduite à presque rien. Or, cette inquiétude une fois éteinte, plus rien n'avertit l'homme de ce qu'il est. L'esclave satisfait de son esclavage, inconscient de sa dégradation, « tranquille à la place qu'il occupe », renonce aux ressources mêmes de l'humanitas. Ce qui se nomma « humanisme », ne fut rien d'autre, bien souvent, que l'expression de ce renoncement.

         Quel est, pour Joseph de Maistre, le propre de l'être humain, dont il fait dire au Comte des Soirées de Saint-Pétersbourg, qu'il « gravite vers les régions de la lumière » ?  Quels sont les lois de pesanteur et d'apesanteur qui déterminent cette gravitation ? Quel est ce défi, que l'être humain ne peut omettre de relever sans déchoir dans l'en deçà de l'humanitas et rejoindre l'état de brute, dont la seule occupation est de se rendre plus fort contre le plus faible ? De quelle théorie, de quelle contemplation de ses propres destinées faut-il se rendre maître, non certes pour les écraser, mais pour en déployer les splendeurs ? Quelle outrecuidance devons-nous vaincre ? « Nul castor, nulle hirondelle, nulle abeille n'en veulent savoir plus que leurs devanciers. Tous les êtres sont tranquilles à la place qu'ils occupent. Tous sont dégradés mais ils l'ignorent; l'homme seul a le sentiment, et ce sentiment est tout à la fois la preuve de sa grandeur et de sa misère, de ses droits sublimes et de son incroyable dégradation. Dans l'état où il est réduit, il n'a pas même le triste bonheur de s'ignorer: il faut qu'il se contemple sans cesse, et il ne peut se contempler sans rougir; sa grandeur même l'humilie, puisque ses lumières qui l'élèvent jusqu'à l'ange ne servent qu'à lui montrer dans lui des penchants abominables qui le dégradent jusqu'à la brute. »

         Toute la thématique baudelairienne se trouve inscrite dans ce passage. Etre humain, ce n'est pas être un esclave satisfait, ce n'est point déchoir en castor (ou en blaireau) mais s'évertuer entre les hauteurs désirées et les bassesses fatales. Or, la propagande du monde moderne ne cesse de nous redire sur tous les tons qu'il n'est point de bassesse dont le démos n'eût interdit l'accès ni de hauteur qui ne fût déjà atteinte. Tout conjure de la sorte à nous faire oublier que notre nature est de nous tenir entre l'au-delà et l'en deçà, et qu'il n'est rien de moins stable que cet entre-deux.

         002187016.jpgCe philosophe que même un esprit affiné comme Cioran se laisse aller à qualifier de  « dogmatique » ou « fanatique », notre privilège de quatrième interlocuteur nous donnera ainsi à le comprendre, au contraire, comme un professeur d'instabilité et d'inquiétude. Entre l'au-delà et l'en deçà se jouent nos carrières incertaines. Le sens hiérarchique que supposent de telles spéculations offusque nos égalitaristes qui, à refuser de penser la hiérarchie, succombent aux plus viles iniquités. Cette hiérarchie, qu'ils se sauraient voir, ils consentent à s'y plier aveuglement lorsqu'elle n'est plus que parodie et pure brutalité. De même, ces prétendus « individus libres » dont les bouches débordent de sarcasmes et de haine pour notre Royaume de France s'enfermeront dans leurs appartenances biologiques, sexuelles ou raciales, à triple tour, avec la bonne conscience des « minorités opprimées »; ces prétendus parangons d'universalisme s'acharneront sans relâche à la désagrégation du Pays, à sa décomposition en communautés d'intérêts ou de nature plus ou moins incertaines pour détruire toute trace de cette disposition providentielle que fut le Royaume de France et dont la nation fut l'héritière ingrate et quelque peu acariâtre. Les déterminismes les plus obtus, que la science consacre et qui les réduisent au rang de termites leur sembleront infiniment préférables aux libertés providentielles pourvu qu'ils en détinssent le pouvoir de cracher au visage de toute autorité, c'est-à-dire, de toute générosité. La tournure avaricieuse, cupide, égolâtrique de l'homme moderne tient là son origine, funeste à la fois pour la gloire et la grandeur de toute civilisation et pour la beauté des moments fugitifs qui nous étreignent et nous ravissent.

         Il y a un mystère limpide de la générosité, comme il y a une énigme ténébreuse de l'ingratitude. En toute civilisation se heurtent et se combattent ce mystère et cette énigme. Les Modernes ont instauré l'habitude de traiter de « réactionnaires » les hommes de gratitude et d'orner du titre « d’amis du progrès » les tenants de l'ingratitude érigée en système. De tous les auteurs qualifiés abusivement de réactionnaires, Joseph de Maistre est incontestablement celui qui porte le sentiment et la pensée de la gratitude à son point le plus haut, allant jusqu'à remercier la Providence des obstacles qu'elle oppose à ce sentiment et à cette pensée.

         Avant même d'être une philosophie spéculative dont les points de haute pertinence touchent à la prophétie, la pensée de la gratitude est un tour de caractère. De même que les beaux objets portent la marque de la main qui les conçu, les êtres humains, lorsqu'ils témoignent par leurs gestes et leurs songes de la beauté, lorsqu'ils sont à la fois beaux et bons, portent dans leur caractère le signe qui les inclinera immanquablement à trouver dans ce monde dont ils héritent d'innombrables raisons de remercier. Bien des différends peuvent s'aplanir, et il n'est point de discords d'ordre personnel ou impersonnel dont la bonne foi, la courtoisie, la sincérité, la politesse, l'intelligence, la bonne grâce, enfin, ne peuvent venir à bout. Le monde n'en demeure pas moins le théâtre d'un combat farouche entre la gratitude et l'ingratitude. C'est bien que celle-ci n'a d'autre passion que d'en finir avec celle-là. L'ingratitude ne veut point de la gratitude; sa seule raison d'être est de travailler sans relâche à la détruire, à ruiner dans nos cœurs tout élan vers elle, à en arracher les plus infimes surgeons, voire à en brûler toute semence.

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Le monde moderne fut la scène de cette propagande immense et inlassable visant à nous persuader que nous ne devons rien à personne, et lorsqu'il arrive que, par évidence criante, nous nous révélions redevables, cette propagande nous exhorte à détruire ce bien qui nous fut offert par les arborescentes lignées de nos prédécesseurs. L'ingratitude n'est pas seulement une faiblesse de l'âme, une mesquinerie, un péché, elle est un culte qui exige une soumission absolue. L'ingrat adule son ingratitude mieux que l'idolâtre son veau d'or. La destruction programmée de la langue française, tant dans son amplitude historique et géographique que dans son intensité poétique et prophétique, témoigne des travaux de l'ingratitude. Cette langue, si riche de nuances et de splendeurs, les ingrats n'en supportent ni la musique, ni les raisons, et s'évertuent ainsi à en profaner l'usage.

         L'énigme noire de l'ingratitude réside dans la dégradation même de celui qui la professe. Le mauvais amour de soi-même prive celui qui s'y adonne des biens dont il n'est que le légataire ou l'hôte. Ces biens étant tout ce que nous sommes, à les nier il ne reste que l'écorce morte. La grande célébration de la mort, l'adoration éperdue de la mort, que le vingtième siècle porta à des apogées inconnues jusqu'à lui, ne s'explique pas autrement : à refuser tous les bienfaits qui exalteraient en eux un sentiment de gratitude, les Modernes s'en furent adorer la mort.

         A la noire énigme de l'ingratitude, répond le clair mystère de la générosité. Si l'ingratitude est l'en deçà de la raison, la générosité est son au-delà. L'ingratitude est déraisonnable. La générosité est une divine folie. Lorsque ces deux forces s'équilibrent, la raison humaine dispose de quelque chance d'affirmer ses prérogatives mesurées. Or jamais, dans l'histoire du monde, cet équilibre en fut aussi tragiquement rompu. Jamais ne fut plus nécessaire l'implosion dans nos âmes de la divine folie de la générosité. La générosité est un ensoleillement intérieur. Elle défie à la fois la pensée calculante et l'imprévoyance médiocre. Naguère, on nommait les généreux des précurseurs. Ils furent de ceux qui se sacrifient pour la beauté reçue. L'humilité et l'amour-propre trouvent en la générosité leur point de haute pertinence. Ce point, qui est la pointe de la spirale ascendante, peut seul nous délivrer du cercle du Mal.

         Le monde moderne n'est pas exactement un monde où le Mal domine le Bien; il est un monde encerclé par le Mal. Non certes que le Bien y fût absent, mais rendu inopérant, confondu devant les obstacles innombrables, enfermé en lui-même, son rayonnement natif est devenu le principal, sinon l'unique objet de vindicte de l'immense foule des ingrats. Le Mal n'est pas moins gradué que le Bien dont parlent les néoplatoniciens. Ainsi, il existe une ingratitude banale, et pour ainsi dire sommaire ou vénielle, qui se contente de prendre sans remercier. Plus bas, et plus proche de l'opacité, il est une ingratitude nihiliste, qui refuse de prendre, qui se refuse au Don, quand bien même elle en serait l'exclusive bénéficiaire, sans aucune contrepartie imaginable.  Plus proche encore des ténèbres, il est une ingratitude qui veut la mort de celui qui donne. A cette profondeur ténébreuse, la divine Providence elle-même devient inopérante. Le cercle s'est refermé étroitement sur le Bien et cet exil de l'exil, cet oubli de l'oubli ne laisse plus passer le moindre rai de lumière. Le mépris, l'opprobre, l'indifférence, la persécution qui furent et demeurent l'apanage sacrificiel des grands auteurs, tiennent à cette réalité abyssale de l'ingratitude. Réalité abyssale, métaphysique du Mal, énigme noire,- ces expressions sont encore faibles pour désigner l'étrange scandale que constitue, - chaque auteur en aura fait l'expérience, - la non-réponse, ou la réponse déloyale, procédurière, mesquine qui est donnée aux œuvres.

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Les œuvres du passé, comme celles du présent, sont « mal-pensantes », sujettes à d'interminables et vétilleuses suspicions. On exerce contre elles non seulement le sarcasme, la vilenie, mais encore une fin de non-recevoir stratégique et généralisée. Or qu'est-ce qu'une œuvre ? De quelle nature est cette manifestation de l'intelligence et du cœur humain pour être si unanimement refusée, vilipendée, proscrite ? Quel est son « propre », sa « nature », son « essence » ? Par quelle voie parvient-elle à se heurter à « la bêtise au front de taureau » ? Quelle puissance délivre-t-elle pour être tant crainte et si fermement refusée dans une époque au demeurant « tolérante »,  « ouverte », pour ne pas dire laxiste ? Quel est ce point d'irradiation dont elle procède ? Je ne trouve d'autre mot pour nommer ce mystère que le mot générosité. L'œuvre est une preuve de la générosité humaine. Lorsque toute activité humaine se réduit au lucre, à la vénalité, au calcul, au traitement fanatique des affaires personnelles, l'œuvre apparaît comme un démenti insoutenable. Elle prouve la transcendance. Cette preuve, c'est peu dire qu'elle est mal-reçue. Preuve inadmissible de la possibilité d'une vie magnifique au milieu de la répétition et de la représentation sans fin de la petitesse, preuve irréfutable de la souveraineté du Logos, de la persistance de l'image de Dieu en l'homme, l'œuvre, en ces temps d'autoproclamée tolérance ne saurait être tolérée. Il n'y va pas seulement des sentiments humains, trop humains, de vanité blessée ou de jalousie: le Moderne sait, lui aussi se créer ses idoles, ses demi-dieux, pourvu qu'ils fussent du stade, de la variété, de la mode ou de la publicité. Au demeurant qui s'aviserait de jalouser l'activité catacombale de l'écrivain ? Ce qui justifie le refus, ce qui excite l'animosité, c'est la mémoire non vaincue d'une autre vie, d'une vie plus haute, plus ardente, plus noble et plus libre dont tout auteur, et particulièrement tout auteur qualifié de « réactionnaire » témoigne avec ce mélange de droiture et de désinvolture qui signe le caractère sur lequel la fascination du monde moderne demeure sans pouvoir.

          De Joseph de Maistre, le génie et la générosité (termes au demeurant interchangeables, de part leur étymologie même, pour autant que nous soustrayons le mot « génie » de ses connotations impliquant une exacerbation morbide de la singularité humaine) seront de nous offrir, comme une espérance prodigieuse d'échapper au nivellement et à l'uniformité, une Norme sacrée. Que cette Norme dût être réinterprétée, que ses aspects fussent ici-bas changeants comme les scintillements de la lumière sur un fleuve, cela ne modifie pas davantage la Vérité que les reflets de la clarté sur l'eau ne changent le soleil. Il ne s'agit point de se laisser hypnotiser par l'éclat ou le reflet, mais d'en saisir l'essence voyageuse et lumineuse. L'œil est à la lumière ce que le visible est à l'invisible. Cette auguste présence, non seulement de l'invisible dans le visible mais du visible dans l'invisible, de la nature dans la Surnature, voilà bien, pour le Moderne, l'inacceptable. Ce que l'on nomma la « nouvelle critique » et dont l'apport à l'intelligence des formes littéraires paraît désormais négligeable, n'eut sans doute d'autre raison d'être que d'enfermer les œuvres littéraire dans un « jeu » sans portée aucune sur nos destinées et nos âmes. Ce qui importait avant tout à ces épigones ultimes d'un « matérialisme » récusé par les sciences elles-mêmes fut de nier par avance, sans même avoir à la contester ou la discuter, la « vérité » des œuvres.

         Or, pour Joseph de Maistre, comme pour Balzac ou Baudelaire, le Beau n'est que la preuve extrême du Vrai. La forme heureuse, la suprême élégance du dire n'est qu'un effet du Vrai. Les œuvres littéraires, lorsqu'elles participent d'une interrogation sur la divine Providence, sont des pérégrinations vers le Vrai, leur provenance. Toute œuvre digne de ce nom retourne en amont, vers la source providentielle qui la rend possible. «  Le beau caractère de la vérité ! S'agit-il de l'établir ? Les témoins viennent de tous côtés et se présentent d'eux-mêmes: jamais ils ne se sont parlés, jamais ils ne se contredisent, tandis que les témoins de l'erreur se contredisent, même lorsqu'ils mentent. » nous dit le Comte des Soirées de Saint-Pétersbourg.

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L'idée étrange que le Beau puisse être étranger au Vrai témoigne d'une dégradation du sentiment et du caractère du Vrai. Si l'on ne considère plus le Vrai qu'en terme statistique, et non plus essentiels, alors, certes, le Beau ne peut poursuivre sa carrière qu'en dehors du Vrai; mais ce Vrai n'est lui-même, alors, qu'une parodie. « Si l'homme, dit encore le Comte, pouvait connaître la cause d'un seul phénomène physique, il comprendrait probablement tous les autres. Nous ne voulons pas voir que les vérités les plus difficiles à découvrir sont très aisées à comprendre. »  Il en va de même des œuvres dignes de ce nom. Leur vérité est si belle, leur beauté si vraie qu'il faut résolument s'aveugler pour n'en rien voir, pour n'être point gagné par la générosité de leurs émanations lumineuses. Le Vrai est le déploiement du Beau. Le Vrai est l'espace incandescent de la manifestation du Beau. Il faut un vrai ciel pour l'envol de  la trans-ascendance du Beau: « L'aigle enchaîné demande-t-il une montgolfière pour s'élever dans les airs ? Non, il demande seulement que ses liens soient rompus. »

         Ainsi exactement en est-il du Vrai en littérature. Ce Vrai n'étant pas d'ordre statistique, ne prétendant point à une planification quantitative de l'Universel, exige ce que George Steiner nomme « la présence réelle ». Rompre les liens de la « présence réelle » dans les œuvres, c'est restituer à la Beauté l'espace de vérité où elle peut se manifester. Alors que la vérité statistique ne cesse d'outrecuider, en dépit des démentis incessants qu'elle s'impose à elle-même, la vérité des œuvres, inspirée par la Tradition, se corrobore de qualités en qualités. Loin d'outrepasser ses prérogatives, elle est recouvrance de la vertu intellectuelle en laquelle s'unissent l'analogie et la déduction, la poésie et la métaphysique. Ainsi Joseph de Maistre, à ce titre prédécesseur de Nietzsche, et sur un autre plan, de René Guénon, oppose à bon droit l'esprit de pesanteur et l'esprit de légèreté: « Quoiqu'il en soit, observez, je vous prie, qu'il est impossible de songer à la science moderne sans la voir constamment environnée de toutes les machines de l'esprit et de toutes les méthodes de l'art. Sous l'habit étriqué du Nord, la tête perdue dans les volutes d'une chevelure menteuse, les bras chargés de livres et d'instruments de toute espèce, pâle de veilles et de travaux, elle se traîne souillée d'encre et toute pantelante sur la route de la vérité, baissant toujours vers la terre son front sillonné d'algèbre. Rien de semblable dans la haute antiquité. Autant qu'il nous est possible d'apercevoir la science des temps primitifs à une si énorme distance, on la voit toujours libre et isolée, volant plus qu'elle ne marche, et présentant dans toute sa personne quelque chose d'aérien et de surnaturel. Elle livre aux vents des cheveux qui s'échappent d'une mitre orientale; l'ephod couvre son sein soulevé par l'inspiration; elle ne regarde que le ciel; et son pied dédaigneux ne semble toucher la terre que pour la quitter... »

         unnamedsacrifices.jpgLes Soirées de Saint-Pétersbourg  nous initient à une exactitude légère, une Sapience débarrassée de ses instrumentations techniques, une science noble et profonde dont le souci est d'alléger la vie, de la désentraver des déterminismes aussi fastidieux que faux qui nous emprisonnent dans l'immanence, dans la nature, dans la pesanteur. Ce qu'il importe d'aviver ou de raviver dans l'entendement humain n'est autre que la faculté d'intuition. A quoi bon une science qui nous rend plus sourd, plus lourd, plus soumis?  De quelle vérité peut-elle bien se targuer si, par elle, la laideur nous entraîne vers le bas ? Il ne s'agit point de renoncer à la raison mais d'en susciter l'envol. D'une lecture maistrienne des temps présents, nous pourrons induire une attention nouvelle, une exactitude désentravée, vive pour tout dire. Alors que la critique moderne, comme l'eût dit Kierkegaard, n'aime les papillons que lorsqu'ils sont épinglés et les aigles qu'après leur passage chez le taxidermiste, la perspective maistrienne nous enseigne cette rayonnante humilité qui, pour éprise éperdument qu'elle soit du Vrai, n'en consent pas moins à le perdre de vue dans les envols de la beauté, sans en conclure pour autant que ce qui est perdu de vue n'existe pas.

         S'il n'y a pas d'explication définitive, exhaustive et parfaitement rationnelle de la divine Providence, si la vérité est hors d'atteinte, - c'est-à-dire qu'elle ne peut être atteinte par le Mal d'aucune mésinterprétation, demeurant toujours identique à elle-même dans le mystère limpide de la munificence de Dieu, la preuve en est dans l'entretien. Sans doute pouvons-nous lire, à cette hauteur, une certaine philosophie hégélienne de l'Histoire comme un refus de l'entretien. Le maître de la dialectique de l'Histoire veut rendre toute interprétation après lui impossible, il désire, autrement dit, la fin de l'entretien infini de l'homme et de la divine Providence. Où se tiennent alors les gages de la liberté pérenne, et des libertés perpétuées ? Est-ce dans l'arrogance scientiste qui nie la vérité tout en imposant comme des dogmes à durée limitée ses « vérités » statistiques ou ne serait-ce point dans l'humilité lumineuse de la révérence à une Vérité hors d'atteinte, une vérité lointaine, transparue dans les œuvres des poètes et des prophètes comme à travers de mouvantes nuées ?

         On connaît la haine du Moderne pour le Dogme, l'Autorité, la Hiérarchie, la Vérité et l'Ecclésialité sous toutes leurs formes. Toute maîtrise qui n'est point purement technique, brutale ou lucrative est, de nos jours, indéfiniment insultée. Le refus massif opposé aux songes et aux raisons de Joseph de Maistre provient de cette antipathie que rien ne désarme. Or, comment ne pas voir qu'à mesure que les Eglises et les autorités traditionnelles se vident de leur substance, c'est la société toute entière qui devient dogmatique. Au Dogme dont la fine pointe se perdait dans l'ineffable, le Moderne a substitué la planification dogmatique de tous les aspects de la vie et de la pensée profanes. A la fidélité traditionnelle, dont témoignent les œuvres de Joseph de Maistre et de René Guénon, par leur référence à la Tradition primordiale, le Moderne a substitué l'archaïsme futuriste. Les informaticiens ne sont pas rares à faire « maraboutiser » leurs entreprises et recrutent en se fiant aux conseils fortement stipendiés des astrologues et des numérologues. De l'archaïsme dont il fait grief aux auteurs fidèles, le Moderne est l'exemple le plus caricatural. Seulement ses châteaux sont en carton-pâte « made in Disneyworld », avec toute l'infrastructure moderne, ce ne sont plus les châteaux de l'âme, ou les « châteaux tournoyants »! L'entrée n'est plus « l'Entrée ouverte au Palais fermé du Roi » du Philalèthe, illustre alchimiste, elle n'est pas davantage à la ressemblance de la porte fameuse de Marcel Duchamp, qui ne se ferme que lorsqu'elle s'ouvre: l'entrée, ici, est un guichet.

         Les Modernes se sont si bien révoltés, rétrospectivement, contre le seigneur qui faisait payer le passage de sa terre qu'ils en ont acquis une indulgence sans fin pour la « guichétisation », non seulement des autoroutes mais de la société toute entière, dans ses moindres rouages. Le parcours du combattant de l'homme moderne est d'aller de guichet en guichet, et de se heurter à des gueules de guichet. Il faudrait un jour écrire une « éthologie » du guichetier et de sa victime, mais on peut craindre qu'un ouvrage de cette sorte soit d'une tristesse propre à tuer son auteur avant qu'il ne l'eût achevé. Une lecture maistrienne des temps présent, coupant court aux détails horrifiques, nous donnera déjà à comprendre que tout continue à se jouer selon la logique de la paille et de la poutre. Jamais la raison ne fut aussi bafouée qu'en ces temps rationalistes, jamais la liberté ne fut aussi honnie qu'en ces temps de « libertés », jamais les cléricatures ne furent aussi pesantes qu'en ces périodes anticléricales. Jamais on ne fut aussi assuré de détenir le Vrai et le Bien qu'aux temps des idéologies de la relativité générale du Bien et du Vrai. Jamais les hommes ne furent aussi uniformisés en ces temps d'apologie de « l'individu » et de la « différence ». La commercialisation des gènes humains, le clonage et autre abominations « à faire hurler les constellations » comme l'eût dit Léon Bloy sont déjà réalisés. Les clones sont parmi nous. En casquette et tenue de sport griffée, ou en costume-cravate, peu importe: ils se ressemblent à se méprendre.

        imagesjdm-sp.jpg « Les témoins de la vérité viennent de tous les côtés et se présentent d'eux-mêmes: jamais ils ne se sont parlé, jamais ils ne se contredisent... » La vérité de la Tradition n'est point dans la reproduction des formes mais dans l'instant qui les suscite. Dans le très beau récit du retour à Beauregard, face à la déchéance des formes, de la tradition au sens historique, Joseph de Maistre fera intervenir la divine Providence. L'Idiot qui, par pure ingratitude a pris la place du Maître, est peut-être aussi la voix de Dieu. « Ce que Dieu fait n'est point sans raison pour votre bien. Levez-vous, c'est Dieu qui fait chanter là-bas cet idiot sur vos ruines pour vous montrer le néant des vanités humaines. Regardez en face le spectacle, car il est digne de vous, et redites-le à vos enfants. » Faire face à la destruction des formes, sans s'illusionner, peut-être est-ce en effet une chance d'atteindre au « sans-forme » dont parlent les métaphysiques les plus exigeantes d'Orient et d'Occident. Le Dieu apophatique de Maître Eckhart et de Jean Tauler, le « neti neti » du Védantâ,  le « tao » de Lao-Tseu et de Lie-Tuez, « l'Inconditionné » dont parle René Guénon, sont peut-être la chance éblouissante à saisir dans la considération objective, à la fois distante et miséricordieuse, de la destruction des formes.

         Il ne s'agit certes pas, pour Joseph de Maistre de revenir à une quelconque étape antérieure de la destruction, et c'est bien pourquoi Joseph de Maistre est tout le contraire d'un « réactionnaire » ; il s'agit de faire face à l'ampleur de la destruction et à la vastitude plus grande encore de la déréliction qui entoure, comme les ondes de l'eau la pierre qui vient de tomber, cette destruction des formes. Ne point faillir à l'attente, à l'attention, à l'éveil, c'est ne plus croire que l'on puisse sauver les ruines et s'y réinstaller comme si de rien n'était. Cette faillite, paradoxalement, est devenue désormais, non plus le propre des « contre-révolutionnaire » (« ces révolutionnaires de complément ») mais des « progressistes », des « Modernes », car après les guerres mondiales, la massification, les sociétés de contrôle que Joseph de Maistre n'a point connu, c'est bien le monde moderne qui s'effondre, et il se trouve toujours aussi peu d'homme qui ont le cœur assez bien accroché pour considérer sans terreur cet effondrement. Le progressiste d'aujourd'hui devant la faillite du Progrès voudrait en revenir à un « humanisme » bienveillant, antérieur à ses propres conséquences funestes, et il n'entend pas, à la différence du marquis du retour à Beauregard, la mise en garde et la mise en demeure de Joseph de Maistre.

         Ce que l'on nomme la « modernité » n'est sans doute rien d'autre que le mythe, sans cesse remis sur le métier, d'un retour possible à l'étape antérieure. Marx lui-même voulut, bien vainement, mettre en garde ses contemporains révolutionnaires contre leur irrésistible et fatale inclination à singer la révolution précédente. A leur simiesque exemple, et en ces temps où ce sont les hommes qui imitent les singes, qu'ils vénèrent pour leurs ancêtres, nos bonnes âmes babouinesques luttent contre les oppressions qui n'ont plus cours et des dictateurs abattus. Sans doute le monde moderne n'est-il si discordant, si peu musical, si étranger aux accords et aux correspondances que par ce temps de retard qui est sa marque. Les mêmes professeurs de bien-pensance qui, lorsque les Allemands envahissaient le France, jugeaient bon d'être pacifistes et de lutter contre l'oppression de l'Idée patriotique française collaborent aujourd'hui avec Big Brother au nom de l'antifascisme ou de l'anti-stalinisme. Leur méthode n'a pas variée: il s'agit toujours d'empierrer la source du Logos, tout en vénérant la forme antérieure, déjà à moitié détruite. Alors que le devenir imperceptiblement modifie les êtres et les choses  (« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » disait Héraclite), le monde moderne s'adonne à son nihilisme réactionnaire en pratiquant ses commémorations, ses réitérations cauchemardesques, ses « fêtes » pseudo-dionysiaques, comme un disque rayé.

         45306396z.jpgQu'en est-il alors de la mise en demeure maistrienne ? Quel « Idiot » prophétique devrons-nous écouter comme étant la voix de Dieu, lorsque l'idiotie s'est généralisée et que la voix du Sage apparaît comme celle du fou? Quelle forme reste-t-il à détruire lorsque tout est déjà réduit à l'informe, de quelle condition se libérer lorsque nous en sommes à une reddition sans conditions ? A quelle défaite humblement consentir, lorsque le souvenir de toute victoire et de toute défaite nous a quittés ? Quelle anamnésis évoquer lorsque nous avons oublié notre oubli ? Dans quel exil puiser la force du retour, lorsque nous sommes exilés de l'exil ? Ce à quoi nous devons faire face est au-delà, désormais, de la situation maistrienne décrite par Charles-Albert de Costa de Beauregard: « Ainsi ballotté entre l'exil et une patrie plus inhospitalière encore, le pauvre esquif indécis ne savait où se rendre... »  La patrie et l'exil sont oubliés et c'est au cœur de cet oubli que nous devons prendre source, établir notre règne en esprit, mais par quelle grâce ? L'enseignement du « regard ultime » abolit le temps, frappe d'inconsistance les religions elles-mêmes pour nous initier à la pure Sapience de la prière. Il n'y a plus même de formes à détruire, puisque nous sommes déjà dans l'informe et que l'informe est indestructible. Tel est bien le paradoxe admirable, ce paradoxe auquel il faut faire face, qu'il faut voir et regarder sans défaillir. Si la forme détruite peut nous donner accès au Sans-Forme, à la transcendance pure du « Sans Nom », l'informe, qui ne peut-être détruit, car il est lui-même destruction permanente de toute forme émergeante, ne donne accès à rien, sinon qu'à lui-même. De ce comble de ténèbres, il importe cependant de faire, à partir du plus infime iota de la lumière incréée, un embrasement.

Luc-Olivier d’Algange.

dimanche, 22 novembre 2020

L’itinéraire de Henning Eichberg (1942-2017)

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L’itinéraire de Henning Eichberg (1942-2017)

par Robert Steuckers

Bartsch-Günter+Revolution-von-rechts-Ideologie-und-Organisation-der-Neuen-Rechten.jpgJ’ai entendu parler pour la première fois de Henning Eichberg sous le pseudonyme de Hartwig Singer, dans un ouvrage important de Günter Bartsch, historien des idées contemporaines, du trotskisme, de l’anarchisme et des nouvelles droites. Le volume qui traitait des « nouvelles droites » après les événements de 1968 s’intitulait Revolution von rechts ? (1975). Bartsch avait parfaitement saisi la nouveauté et la pertinence des idées véhiculées par cette myriade de groupuscules très actifs, très soucieux d’étayer leurs affirmations impavides par des références théoriques solides, aussi solides que celles des marxistes de l’opposition dite extra-parlementaire, animée notamment par Rudi Dutschke. Dès la parution de cet ouvrage de Bartsch, découvert à la librairie du Passage 44 à Bruxelles, je me suis senti en communion avec ces idées véhiculées de Munich à Hambourg et de Cologne à Berlin. Bartsch lui-même avait eu un itinéraire fascinant, expliquant l’objectivité et l’empathie qu’il cultivait à l’endroit de toutes les mouvances qu’il étudiait et dont il explorait le corpus doctrinal. Né en 1927, mobilisé à 17 ans dans la Wehrmacht, membre du parti communiste allemand et animateur important de la FDJ (les jeunesses du KPD), il est déçu par la répression féroce du soulèvement populaire berlinois de juin 1953 et passe à l’Ouest, où il deviendra journaliste et enquêteur. Ses thèmes de prédilection ont été les mouvances politiques extra-parlementaires. Notons également que Bartsch se tournera à la fin de sa vie vers l’anthroposophie de Steiner, dont il tirera bon nombre d’enseignements pour fonder son propre mouvement « écosophique » qui le rapprochera de Baldur Springmann, pionnier de l’écologie folciste (völkisch), qui participera à l’Université d’été de « Synergies européennes » en 1998 dans le Trentin, où, âgé de 87 ans, il reçut un accueil des plus chaleureux par de jeunes Italiens, adeptes du style Wandervogel. Le livre de Bartsch a été déterminant dans mes options métapolitiques futures et ce livre demeure un classique qui devrait être relu sans relâche, pour bien connaître la généalogie de la mouvance « nouvelle droite ».

Dans l’ouvrage de Bartsch intitulé Revolution von rechts ?, Hennig Eichberg, alias Hartwig Singer, apparaît comme un théoricien qui entend discipliner le spontanéisme des droites nationales allemandes en réclamant un recours à l’empirisme logique ou empiriocriticisme du Cercle de Vienne. Ce recours au positivisme logique sera repris également par les Français de la future « nouvelle droite » qui se regroupaient à l’époque dans la « Fédération des Etudiants nationaux » et par la revue Nouvelle école qui consacra à cette thématique l’un de ses premiers numéros. Pour le positivisme logique, il faut que toute assertion soit vérifiable. C’est ce que l’on appeler l’option « vérificationniste ». A la suite de Wittgenstein et d’Ayer (philosophe et logicien anglais), les discours métaphysiques et idéologiques sont « prescriptifs »et non « descriptifs », ce qui les plonge dans des errements sans fin et dans l’incohérence. Tant la mouvance allemande de la « Neue Rechte » que son homologue française de la « nouvelle droite » abandonneront cette piste empiriocriticiste sans donner trop d’explication.

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En fait, cette piste abandonnée avait sa raison d’être politique et idéologique : Lénine, dans sa Critique de l’empiriocriticisme, s’en prenait à Ernst Mach dont se réclamait son concurrent au sein de la mouvance communiste-marxiste russe, Alexandre Bogdanov. Si, avec le recul, cette querelle au sein du marxisme russe avant la première guerre mondiale peut paraître oiseuse, l’intérêt pour le contexte, où elle s’est manifestée, renaît aujourd’hui en France et en Italie, avec la parution toute récente du livre de Carlo Rovelli, Helgoland (2020).

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Alexandre Bogdanov.

Rovelli est membre de l’Institut Universitaire de France. Il rappelle l’émergence de la physique quantique de Werner Heisenberg, qui introduit dans le discours scientifique des visions évoquant des « ondes de probabilité », des « objets éloignés mais connectés malgré cet éloignement », etc. Dans le chapitre 5 d’Helgoland, Rovelli nous ramène à Mach, Bogdanov et Lénine. Mach n’était pas un philosophe systématique : il tâtonnait encore à la fin du 19ème siècle. Il estimait que le philosophème « Matière », prisé par tous les matérialistes de l’époque, dont Marx mais surtout Lénine, était une idée toute faite, un ersatz de la divinité métaphysique, ce qui allait ramener la pensée à des clôtures sous un vernis pseudo-scientifique (des « enclôturements » répétitifs). C’est ce qui provoqua l’ire de Lénine, pour qui la tentative de Mach (et de Bogdanov) de ménager des « ouvertures » au sein même de la pensée matérialistse et de se débarrasser simultanément des affirmations trop « prescriptives », est une démarche « réactionnaire ». Or pour Mach, les phénomènes ne sont pas des manifestations d’objets, fermés sur eux-mêmes, mais, autre perspective, les objets sont des noeuds de phénomènes en interaction permanente. Mach a jeté les bases d’une critique de la mécanique newtonienne qui se projetait dans les idéologies libérales et marxistes, bourgeoises et pseudo-prolétariennes, dans toutes les vulgates politisées. Mach annonce, cahincaha, la future physique quantique de Heisenberg. Sur le plan même du « matérialisme », de l’étude de la matière, Lénine, en le critiquant rageusement, s’avérait lui-même passéiste, newtonien et donc « réactionnaire ».

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Toute critique du marxiste, il y a maintenant plus de cinquante ans ; quand Eichberg a amorcé son itinéraire politico-philosophique, devait nécessairement passer par une relecture critique de « Matérialisme et empiriocriticisme » de Lénine. Par un réexamen des positions plus souples et plus organiques de Bogdanov qui soulignait surtout l’historicité des phénomènes, donc leur mouvance perpétuelle, historicité qu’avaient aussi soulignée avant lui Marx et Engels et qu’apparemment Lénine ne retenait pas. Bogdanov reproche à Lénine de faire de la « Matière » une masse inamovible, inchangeable, immobile, figée. Bogdanov veut l’ouverture aux besoins réels et mouvants des peuples, ce qui est le désir fondamental des révolutionnaires de chair et de sang. Rovelli résume bien la problématique : « Au contraire, le programme politique de Lénine veut renforcer l’avant-garde révolutionnaire, détentrice de la vérité, qui doit guider le prolétariat » (comme aujourd’hui les experts et les sachants doivent guider et castrer les masses, par le martellement constant de la propagande médiatique ou par la peur artificielle fabriquée à l’aide de l’hypothétique covid-19).

Bogdanov, rappelle Rovelli, avait prédit « que le dogmatisme de Lénine congèlera la Russie révolutionnaire et en fera un bloc de glace qui n’évoluera plus, étouffera les conquêtes de la révolution, se sclérosera ». Outre le caractère prophétique de ces paroles de Bogdanov, on y perçoit le fil conducteur de la pensée d’Eichberg : le peuple, en tant que peuple, en tant que nodalité vitale de phénomènes biologiques, culturels et historiques, tous intimement entrelacés, doit se soustraite aux manipulations des experts autoproclamés. En avançant la nécessité de réétudier l’empirisme logique, Eichberg, sans nul doute, connaissait cette problématique propre aux révolutionnaires marxistes-léninistes, propre à la querelle Lénine/Bogdanov, ce qui ne semble pas avoir été le cas de ses homologues de la « nouvelle droite » française, qui ont embrayé furtivement sur son engouement pour l’empiriocriticisme, en y ajoutant, avec une certaine maladresse, l’interprétation finalement libérale de Louis Rougier (photo), puis en abandonnant ce filon sans donner la moindre explication. louis-rougier.jpgIls donnaient ainsi l’impression de virevolter au gré des modes et de n’être pas sérieux. Aujourd’hui, le travail de Rovelli ne semble pas susciter davantage d’intérêt chez eux. Pour Eichberg, ajouterions-nous, l’empirisme logique était spécifiquement européen (occidental) car il rejetait les instances figées pour observer des dynamiques à l’œuvre dans le monde et au sein même de la matière. Pour ses homologues français, cette spécificité occidentale, le « syndrome occidental » disait à l’époque Eichberg/Hartwig, servait à rejeter un déisme trop figé et, simultanément, un communisme tout aussi figé parce que léniniste et non bogdanovien (non proudhonien).

Revenons à la personne d’Eichberg/Singer. Retraçons son itinéraire. Originaire de Silésie, une province allemande annexée au lendemain de la seconde guerre mondiale à la Pologne, Eichberg vivra sa prime enfance en République Démocratique Allemande (RDA) pour arriver, avec ses parents, à l’âge de sept ans à Hambourg. Très tôt, à peine adolescent, il entre dans la dissidence politique que les médias mainstream appellent fielleusement « l’extrême-droite ».

Otto_Strasser.jpgSon premier engagement se fera, vers treize ou quatorze ans, dans la Deutsch-Soziale Union d’Otto Strasser. Par la suite, il sera un rédacteur régulier de la revue Nation Europa, fondée par Arthur Ehrhardt. Cette collaboration durera de 1961 à 1974. Cette assiduité militante ne l’empêche nullement de réussir de brillantes études de sociologie, notamment en explorant des thèmes tels que l’histoire de la technique et la sociologie du sport (sujet sur lequel il poursuivra une longue carrière universitaire, en Allemagne comme au Danemark). Sa culture actualisée et non nostalgique fait de lui la figure jeune la plus prometteuse de la petite mouvance néo-droitiste en Allemagne dans les années 1960.

A son option première pour l’empiriocriticisme, qui s’estompe chez lui au fil des années 1970, s’ajoute donc l’instrumentalisation métapolitique de diverses méthodologies tirées des sciences sociologiques et de leurs applications pratiques, notamment une expérience en Indonésie qui le conduira à développer un thème majeur de sa pensée, celui de l’ethnopluralisme : s’il existe certes un « syndrome occidental », qu’il avait posé comme « supérieur », l’option de Mach, sous-jacente chez lui, qui est, rappelons-le, d’observer les phénomènes et les dynamiques à l’œuvre en leur sein, le conduit à accepter comme phénomènes objectifs les modes de vie et les cultures des peuples non occidentaux. L’option ethnopluraliste était née.

En 1972, Eichberg est le premier, avec quelques camarades, à créer un mouvement qui a porté l’étiquette de « nouvelle droite », l’Aktion Neue Rechte. Il en rédige les statuts et en fixe les principes. Il infléchira cette opposition extra-parlementaire non gauchiste vers le corpus doctrinal allemand d’avant-guerre, celui des nationaux-révolutionnaires et des nationaux-bolcheviques. Ce retour à des sources datant de la République de Weimar s’effectuera dans des structures parallèles comme « Sache des Volkes » (= La Cause du Peuple), auxquelles nous nous identifierons à Bruxelles.

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Si Eichberg a eu une influence évidente sur le groupe français autour de la revue Nouvelle école, en métapolitisant l’empirisme logique pendant une brève période au début des années 1970, filon que les Français complèteront en sollicitant les œuvres de Louis Rougier et de Louis Vax. Cependant, cette piste restera en jachère, tant en Allemagne qu’en France, et les néolibéraux s’en empareront en la couplant aux idées métapolitiques de Karl Popper, à la différence que, pour Mach, était scientifique ce qui était observable et vérifiable, tandis que pour Popper, est scientifique ce qui est réfutable, position qui relie la forme poppérienne du libéralisme à la fois au criticisme déconstructiviste des gauchismes tirés plus ou moins des thèses de l’école de Francfort, au gendérisme qui réfute même ce qui est physiquement irréfutable, aux critiques des « sociétés fermées » et donc aux stratégies subversives des ONG de Soros (qui rejettent ce qui est vérifiable pour privilégier une praxis constante de « réfutation pour la réfutation »). La querelle philosophique Lénine/Bogdanov et le rejet léniniste des implications épistémologiques et pratiques du positivisme vérificationniste de Mach et de la future physique quantique de Heisenberg, pourtant déterminante dans la formation du paysage intellectuel européen au 20ème siècle, passent désormais au second plan dans les démarches et spéculations des « nouvelles droites ». Dommage. Navrant. Mais il faudra y revenir. Non pas pour ressasser une critique du marxisme-léninisme, aujourd’hui défunt, mais pour amorcer une offensive contre le néolibéralisme popperiste à la sauce Soros, où le principe poppérien de réfutabilité se voit sur-sollicité pour nier le réel observable : il y a dès lors alliance tacite entre la négativité, prônée par les figures de proue de l’Ecole de Francfort (Horkheimer, Adorno, Habermas), et la réfutabilité poppérienne, ce que ne laissait pas présager la querelle des sociologues allemands à la fin des années 70, où se profilait une dualité politique entre, d’une part, une social-démocratie réformiste, appuyée sur l’Ecole de Francfort, et un libéralisme pré-néolibéral, fondé sur le principe de réfutabilité de Popper et sur son rejet des « sociétés fermées » ou des « Etats fermés » (1).

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Dès la fin des années 1970, Eichberg abandonne lui aussi le filon empiriocriticiste, qu’il avait qualifié d’ « occidental », qu’il considérait comme l’apothéose de la pensée occidentale/européenne et comme l’indice le plus patent de l’identité européenne. Il opte pour une critique sociologique des « habitus » (Bourdieu), des modes vie standardisés de la société de consommation occidentale et américanisée, qui affecte durement la société allemande des années qui ont suivi immédiatement le miracle économique. Cet infléchissement de sa pensée s’effectue en parallèle avec bon nombre de filons classés à gauche, dans le cadre de la pensée contestatrice qui s’impose définitivement dans nos paysages intellectuels européens et nord-américains après les événements de 1968.

Sous l’influence d’une lecture du philosophe et ethnologue français Claude Lévi-Strauss, explorateur des sociétés les plus primitives, notamment en Amazonie, Eichberg théorise l’ethnopluralisme, idée-guide pour laquelle chaque peuple développe une culture propre, qui est un éventail de stratégies vitales disposant de leurs logiques et de leurs raisons propres et qu’il convient de ne pas édulcorer ou éradiquer. Seule la préservation de ces acquis ethnologiques, anthropologiques et historiques permettra de maintenir un monde sainement bigarré, non aligné sur un modèle unique comme celui de l’américanisme. Eichberg rejoint là Guillaume Faye quand celui-ci terminait la rédaction, en 1981, de son premier livre, Le système à tuer les peuples. Toujours au même moment, entre 1979 et 1981, Eichberg théorisait le « nationalisme de libération » (Befreiungsnationalismus), expression politique de son anthropologie pluraliste, de son fameux ethnopluralisme. Au cours de ces années-là, qui furent déterminantes pour mon évolution ultérieure, Eichberg entame une longue collaboration à la revue Wir Selbst (= Sinn Fein), fondée en 1979 par Siegfried Bublies à Coblence, toujours actif aujourd’hui en Allemagne. Le nom de cette publication prestigieuse et pionnière en bien des domaines provient directement de la valorisation par Eichberg du combat irlandais, particulièrement celui du syndicaliste James Connolly. Eichberg l’avait explicité dans un ouvrage programmatique, intitulé Nationale Identität. Là aussi, Eichberg fut pionnier sur le plan du vocabulaire, un inventeur de termes percutants. Le vocable « identité » connaîtra, à partir de ce moment, de multiples avatars au cours de ces quarante dernières années et définit aujourd’hui encore toute une mouvance contestatrice des idées dominantes, tant en France, qu’en Allemagne ou en Autriche, notamment avec Martin Sellner à Vienne, bien épaulé par son épouse américaine Brittany Pettybone.

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Pendant la querelle des missiles en Europe au début des années 1980, quand les Allemands surtout contestaient l’installation de missiles américains sur leur sol national, une fraction de la gauche, dont Peter Brandt, le fils de Willy Brandt, s’ouvre à la question nationale et rêve de la réunification, qui ne surviendra qu’après la perestroika de Gorbatchev. Eichberg, dans ce contexte nouveau, demeure toujours soucieux d’opérer des ruptures avec tous les ronrons politiciens ; il suit cette évolution de la gauche dutschkiste de manière plus qu’attentive, en même temps que Bublies. Il parvient à se faire pleinement accepter chez ceux qui, quelques années auparavant, se seraient déclarés ses ennemis : il accorde des entretiens dans plusieurs revues de la gauche intellectuelle allemande, dont Ästhetik und Kommunikation, Pflasterstrand, etc. Ce nouvel infléchissement trouvera son apothéose lors d’un débat avec Klaus Rainer Röhl, qui fut l’époux d’Ulrike Meinhof de la Bande à Baader, et Rudi Dutschke, leader de la contestation étudiante en 1967-68. Le titre du débat était significatif : « National ist revolutionär ».

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La percée d'Eichberg dans les institutions: cet ouvrage, publié par Westermann, destiné à la formation des maîtres d'école et des enseignants du secondaire, donne pour directives d'enseigner selon les principes de l'ethnopluralisme.

Au cours de cette décennie, Eichberg garde certes ses tribunes dans Wir Selbst mais s’éloigne de plus en plus des droites nationales allemandes, tout en acceptant, dès 1982, des postes de professeur d’université au Danemark. De plus en plus, Eichberg trouve les dadas et les discours répétitifs de la droite horripilants et ne s’en cache pas : sa plume, acerbe et programmatique, fustige les droites et tente de montrer en quoi elles sont condamnées à la stagnation et à l’implosion. Ses modèles restent certes Lévi-Strauss mais il mobilise aussi Michel Foucault, du moins partiellement, sans sombrer dans le festivisme délirant du philosophe français. Il voit en Foucault le philosophe qui a su prouver que les Lumières du 18ème siècle n’étaient pas libératrices mais au contraire avaient déployé toutes sortes de stratégies pour discipliner les corps d’abord, les peuples ensuite. La rigueur du panzercommunisme soviétique et la mise au pas doucereuse des âmes et des corps par le consumérisme américain sont donc des avatars pervers des Lumières, qui dissimulent leurs stratégies derrière un discours lénifiant. C’est là un point de vue partagé, mutatis mutandi, par Guillaume Faye qui, pourtant, n’a jamais trop sollicité Foucault mais plutôt le dionysisme de Michel Maffesoli, donc la pertinente vitalité intellectuelle demeure d’actualité dans la France d’aujourd’hui.

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Trois ouvrages universitaires d'Eichberg, en allemand, anglais et finnois. Une notoriété internationale.

Dans les années 1990, Eichberg franchit le cap : il cesse de collaborer à Wir Selbst et adhère au « Parti socialiste populaire » danois. Il ne collaborera plus qu’aux revues théoriques de ce parti. Il rédigera aussi une partie de ses programmes. Dans un dernier ouvrage théorique majeur qui, en quelque sorte, récapitule ses thèses en langue anglaise, The People of Democracy (2004), Eichberg rappelle qu’il a toujours été un disciple de Herder, de Grundvigt et de Buber. Son apport à la sociologie universitaire réside essentiellement dans une critique des sports olympiques, trop standardisés à ses yeux et ne tenant pas compte des innombrables particularités ludiques, religieuses et physiques que revêtent les sports nationaux et tribaux chez les peuples non occidentaux et qu’ont revêtu également bien des sports populaires oubliés ou refoulés chez les Européens.

Henning Eichberg est décédé au Danemark en avril 2017. Je n’aurais jamais imaginé le voir disparaître si tôt. Personnellement, j’ai entretenu quelques fois une correspondance avec lui, ai toujours lu attentivement ses contributions à Wir Selbst ; je n’étais pas toujours d’accord avec la forme de ses critiques (mais non avec le fond) ou avec la véhémence de ses propos mais, respectueusement, je tenais toujours compte de ce qu’il disait, tout en concédant que les ronrons des droites (mais aussi des gauches) étaient incapacitants justement parce qu’ils étaient des ronrons, des ritournelles aurait dit Gilles Deleuze. En août 1981, nous avons tous deux participé à un long séminaire à Tinglev au Danemark. Il y donnait le ton, de manière très autoritaire, en dépit de son discours « bogdanovien » antiautoritaire. Lors d’un aparté dans l’autocar qui nous ramenait d’une visite à la minorité danoise d’Allemagne et à la minorité allemande du Danemark, il m’a dit ceci, à propos de la « nouvelle droite » parisienne : « Vous rédigez trop d’hagiographies, vous devez parler de choses (concrètes) ». Pourquoi ne pas méditer cette injonction qu’il m’a donnée, il y a déjà 39 ans.

Robert Steuckers.

PS : Pour montrer comment pouvait s’articuler la pensée d’Eichberg dans le cadre belge, lire mon hommage à l’activiste flamand Christian Dutoit :

http://robertsteuckers.blogspot.com/2016/06/linclassable-...

Pour connaître le contexte général:

http://robertsteuckers.blogspot.com/2014/12/neo-nationali...

 

Note :

  • 41sJ0S+33EL.jpg(1) Dans le numéro 36 de Nouvelle école, consacré à Vilfredo Pareto et impulsé par Guillaume Faye (seule voix raisonnable à l’époque dans cet aréopage de fanfarons sans réelle culture), j’ai voulu introduire, dans mes deux articles, les linéaments de la querelle des sociologues allemands (ou querelle allemande des sciences sociales). On m’a pris pour un fou. Le pontife qui entendait mener la danse, avec la lourdeur d’un ours de mauvais cirque, préparait son aggiornamento néolibéral et thatcheroïde. Il le ratera lamentablement. Une bonne connaissance de l’empiriocriticisme, via le pamphlet de Lénine (et via les thèses sur Lénine de Henri Lefebvre avec qui Faye entretenait d’excellentes relations), et de la querelle des sociologues allemands, dont Habermas, que Faye lisait attentivement, aurait permis d’être au diapason. Et de le rester. Quarante ans après, après que Faye et moi-même eurent tiré notre révérence, après notre ostracisme par fatwas hystériques répétées à satiété, on patauge toujours dans le solipsisme, dans la doxa à deux balles et surtout dans un insupportable parisianisme.

samedi, 21 novembre 2020

La ponérologie politique : étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques

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La ponérologie politique : étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques

Préface rédigée par Laura Knight-Jadczyk

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

006606482.jpgLe premier manuscrit de cet ouvrage a été jeté au feu cinq minutes avant l’arrivée de la police secrète en Pologne communiste.

Le deuxième, rassemblé péniblement par des scientifiques travaillant dans des conditions de répression quasiment invivables, a été envoyé au Vatican par l’intermédiaire d’un messager. Celui-ci n’a transmis aucun signe de vie et aucun accusé de réception n’a été reçu. Le manuscrit et toutes ses précieuses données étaient perdus.

Le troisième manuscrit a été rédigé dans les années 1980, après que l’un des scientifiques ayant collaboré au projets ait fuit aux Etats-Unis. Zbigniew Brzezinski en a censuré la publication.

La ponérologie politique — étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques a été façonnée dans le creuset même du sujet étudié.

L’auteur et son équipe, vivant sous un régime répressif et totalitaire, décidèrent d’étudier ce phénomène, ses fondateurs et ses acteurs, afin de déterminer le facteur commun dans la montée et la propagation de l’inhumanité de l’homme envers l’homme.

Choquant dans la sobriété clinique de ses descriptions de la véritable nature du mal, poignant dans les passages décrivant les souffrances vécues par les chercheurs qui ont été contaminés ou anéantis par la maladie qu’ils étudiaient, cet ouvrage devrait être lu par tout individu défendant les valeurs morales ou humanistes. Car il est certain que la moralité et l’humanisme ne peuvent longtemps supporter les déprédations du Mal. Connaître sa nature, la façon dont il se crée et se répand et l’hypocrisie et la perfidie de son mode opératoire, en est l’unique antidote.

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Quelques mots au sujet de l’auteur

Andrew M. Łobaczewski est né en Pologne en 1921. Il a été élevé dans le domaine familial, dans une superbe région de montagnes. Sous l’occupation nazie il a travaillé à la ferme, est devenu apiculteur, puis soldat de l’armée intérieure, une armée secrète émanation de la résistance polonaise. Après l’invasion de la Pologne par l’armée soviétique le domaine familial a été confisqué et les habitants de la vieille demeure ont été forcés de quitter les lieux.

Obligé de travailler dur pour gagner sa vie, il a étudié la psychologie à la Yagiellonian University de Cracovie. Les conditions de vie sous le régime communiste ont suscité son intérêt pour la psychopathologie, et en particulier pour le rôle des psychopathes sous ce régime. Il n’était pas le premier chercheur à s’intéresser à ces questions. Ces travaux avaient été entrepris par un groupe secret de scientifiques de l’ancienne génération, bientôt anéanti par les autorités du gouvernement rouge. Łobaczewski a repris le flambeau et a mis par écrit les résultats des travaux.

C’est en travaillant dans un hôpital psychiatrique puis dans un hôpital général, ainsi que dans des services indépendants de santé mentale que l’auteur a acquis ses compétences en diagnostic clinique et en psychothérapie. Lorsqu’en 1977 il a été trouvé suspect, par les autorités politiques, d’en savoir trop sur la nature pathologique du système il a été forcé d’émigrer aux États-Unis d’Amérique, où il s’est retrouvé dans les griffes de la « dérive rouge ». L’ouvrage présenté ici a été écrit à New York en 1984 pendant cette dure période. Toutes ses tentatives de publication ont échoué alors.

Sa santé s’étant dégradée, il est retourné en Pologne en 1990 pour se faire soigner par ses vieux amis médecins. Sa santé s’est alors peu à peu rétablie, et il a pu se remettre au travail et publier un autre de ses ouvrages sur la psychothérapie et la sociopsychologie. Il est décédé en Pologne, en 2007.

Source

jeudi, 19 novembre 2020

Aperçu sur l’idée d’ordre politique dans la philosophie européenne

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Aperçu sur l’idée d’ordre politique dans la philosophie européenne

par Jean Galié

Ex: https://rebellion-sre.fr

La politique a pour fonction de s’occuper du politique, de la chose politique, c’est-à-dire de ce qui concerne l’ensemble des citoyens ou la vie collective de la cité. Mais dans quel but?

Une réponse classique se tourne vers l’idée de Bien commun. Aussi faut-il retenir cette idée que le Bien est notre but. C’est le Souverain Bien, bon en lui-même, par rapport auquel tous les autres ne sont que moyens. Il est le but de toute activité dans le monde. “N’est-il pas exact que, par rapport à la vie humaine, la connaissance de ce bien a une importance considérable et que, la possédant, comme des archers qui ont sous les yeux le but à atteindre, nous aurons des chances de découvrir ce qu’il convient de faire?”1

La recherche de ce bien sera conduite par une science : “science souveraine et au plus haut point organisatrice. Apparemment, c’est la science politique.”2 Aristote nous plonge au coeur des relations entre la morale et la politique. Selon sa conception eudémoniste, le bonheur est la fin suprême de la vie. Mais comme l’homme est un “animal politique” sa vraie nature ne pourra s’accomplir que dans la cité. Celle-ci est “née en quelque sorte du besoin de vivre, elle existe pour vivre heureuse. C’est pourquoi toute Cité est dans la nature.”3

Aristote distingue bien le bonheur de chacun du bonheur de l’ensemble de la vie collective. Le premier s’identifie à l’activité de contemplation dans la mesure où en tant qu’esprit, l’homme pourra cultiver cette partie de l’âme le rapprochant du divin.

unnamedath.jpgLe loisir, période de temps échappant à l’empire de la nécessité et des activités en relation avec celle-ci (travail, économie, etc) s’identifie au bonheur personnel. Néanmoins sa condition de possibilité réside dans le bien de l’Etat. Ce dernier à son tour permet par son existence d’actualiser les capacités et les facultés spirituelles et morales de l’homme. Le but de la politique n’est pas la morale mais de rendre possible l’existence de celle-ci. C’est en ce sens que la morale dépend de la politique et non au sens où cette dernière dicterait les fins de la morale (tentation de la Pensée Unique contemporaine…). Pas plus qu’il ne s’agira de résorber le bonheur individuel dans un hypothétique bonheur collectif. “Même si le bien de l’individu s’identifie avec celui de l’Etat, il paraît bien plus important et plus conforme aux fins véritables de prendre en mains et de sauvegarder le bien de l’Etat. Le bien, certes, est désirable quand il intéresse un individu pris à part ; mais son caractère est plus beau et plus divin quand il s’applique à des Etats entiers.”4

Aux antipodes de l’individualisme moderne, c’est en ce sens que s’impose l’idée d’un Bien commun. Mais cette idée, bien que raisonnable pour le sens commun, ne saurait se fonder elle-même. Pour les Anciens, la Nature était l’Ordre du monde, la loi innervant le kosmos, chaque chose tendant naturellement à son épanouissement conformément à cette loi ; ainsi de la nature de l’homme se conformant à l’ordre de la cité. De même, c’est pour cette raison que la “cité est dans la nature”.

Le politique trouve en réalité son fondement dans la métaphysique, autrement il serait incompréhensible que le politique soit le lien de manifestation des facultés spirituelles de l’homme. “Le fondement premier de l’autorité et du droit des rois et des chefs, ce grâce à quoi ils étaient obéis, craints et vénérés, était essentiellement, dans le monde de la Tradition, leur qualité Transcendante et non uniquement humaine (…) La conception purement politique de l’autorité suprême, l’idée qu’elle a pour fondements la force brutale et la violence, ou bien des qualités naturalistes et séculières, comme l’intelligence, la sagesse, l’habilité, le courage physique, la sollicitude minutieuse pour le bien commun matériel – cette conception fait totalement défaut dans les civilisations Traditionnelles, elle n’apparaît qu’à des époques postérieures et décadentes”.5

C’est dans ce contexte de pensée qu’il est possible de lire les doctrines politiques des Anciens dont quelque chose – l’essentiel – se transmettra jusqu’au Moyen-Age, pour lequel le pouvoir temporel était une délégation de l’autorité divine. Pour Platon, par exemple, la politique tend à pérenniser une stabilité quasi ontologique. La science du Politique vise à contenir l’usure exercée par le temps sur tout ce qui est éphémère, et en particulier sur une juste hiérarchie établie dans la Cité et à l’intérieur des diverses instances de l’âme humaine.

istockphoto-650528588-612x612.jpgDans son dialogue “le Politique”, Platon rapporte le mythe selon lequel, dans un temps originel – celui de Cronos – toute chose fonctionnait en sens inverse de celui de l’ordre actuel, c’est-à-dire dans le sens originel. Cet ordre s’appliquait aussi bien aux cycles astronomiques qu’aux cycles vitaux,ainsi l’homme rajeunissait tout au long de sa croissance. Le temps de Cronos a laissé place à celui de Zeus qui renverse l’ordre originel pour faire place à un ordre inversé avec lequel nous devons composer, éloignés que nous sommes du temps mythique des origines. L’homme archaïque vit dans un univers protégé dont le sens lui est naturellement acquis. “L’attitude mythique – naturelle comprend d’avance et d’emblée non seulement des hommes et des animaux, et d’autres êtres infra-humains et infra-animaux, mais aussi des êtres surhumains. Le regard qui les englobe comme un tout est un regard politique”.6

En d’autres termes, le destin de l’homme y dépend de la manière dont règnent ces puissances mythiques au sein d’un cycle où se perpétue l’éternel retour de la configuration initiale de l’ordre des choses, assurant ainsi un retour perpétuel du même dans un monde qui vieillit jamais, ne subissant pas l’érosion du temps historique7.

Platon connaît bien la Tradition. Pour lui, la politique consistera à garder son regard porté sur le modèle Transcendant instituant l’ordre de la Cité juste, cette cité idéale décrite dans “La République” obéissant à la loi d’équilibre situant chaque catégorie de citoyens à la place correspondant à ses qualités intrinsèques, du Roi au producteur en passant par le guerrier. Cette loi est l’axe ontologique grâce auquel une telle hiérarchie est rendue légitime, faute de quoi chaque forme de gouvernement sera susceptible de dégénérer, la monarchie régressant en timocratie (gouvernement de l’honneur), celle-ci en oligarchie (petit nombre), cette dernière en démocratie (tous) dont le sort ultime sera la tyrannie. De la perfection à la confusion des pulsions inférieures de l’âme humaine, de la loi à l’informe. “ Spécialement dans les formulations aryennes, l’idée de loi est intimement apparentée à celle de vérité et de réalité, ainsi qu’à la stabilité inhérente “à ce qui est”. Dans les Védas, rta signifie souvent la même chose que dharma et désigne non seulement l’ordre du monde, le monde comme ordre – kosmos -, mais passe à un plan supérieur pour désigner la vérité, le droit, la réalité, son contraire, anrta, s’appliquant à ce qui est faux, mauvais, irréel. Le monde de la loi et, par conséquent, de l’Etat, fut donc l’équivalent du monde de la vérité et de la réalité au sens éminent”.8

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Pour Platon et ses successeurs au sein de la philosophie politique classique, la science politique a donc pour fonction d’imposer une “forme” métaphysique au chaos toujours possible et resurgissant, en incarnant une idée de stabilité et de justice propre à l’ordre traditionnel qui avait trouvé son expression initiale dans le système des castes dont l’homme moderne ne peut saisir le sens et la portée spirituels. Tel a été l’univers mental indo-aryen, et dont Georges Dumézil a longuement déchiffré les structures idéologiques. Ainsi chez Platon ordre et hiérarchie sociale reflètent-ils un ordre et une hiérarchie internes à l’âme humaine. Les ordres de citoyens correspondent à des puissances de l’âme et à certaines vertus. Aux chefs de la cité, les magistrats, archontes correspondent l’esprit, noûs et la tête ; aux guerriers l’animus et la poitrine ; aux producteurs, la faculté de désir, partie concupiscible de l’âme et la partie inférieure du corps, sexe et nourriture.

Les castes, les catégories de citoyens, les ordres définissaient des modes typiques d’être et d’agir, de la matérialité à la spiritualité. Platon s’était donné pour objectif politique d’instituer par l’éducation un plan de sélection des élites capable de conduire la Cité. Tel homme appartient à telle catégorie de citoyens non pas à cause de conditions arbitraires mais parce que le caractère de son âme – décelé par les magistrats ou les éducateurs – le destine à remplir telle ou telle fonction, selon la symbolique de l’âme au caractère d’or, à celle d’argent, d’airain ou de fer, dans un ordre de valeur décroissant ; de la capacité de commandement éclairé à celle de fidélité d’exécution.

Que reste-t-il de ce bel édifice conceptuel et métaphysique dans la pensée politique moderne?

Peu de choses, depuis que Machiavel (1469-1527) a rompu avec la philosophie politique classique, dont celle du Moyen-Age qui pensait le politique en se référant à Saint Augustin pour qui la “cité terrestre” se distinguait, tout en la reflétant, de la “cité céleste”. Dans les conditions d’existence, marquées du sceau du péché originel, l’Etat se devait d’être le soutien et le glaive de l’autorité spirituelle. Cela n’allant d’ailleurs pas de soi, puisque dans les faits – querelle des Guelfes et des Gibelins – il s’agissait de savoir qui de l’Empereur ou du Pape incarnait au mieux cette idée d’autorité spirituelle, cette dernière ne devant pas se dégrader en simple pouvoir temporel.

aed2e29c2b2e35e7a026212cc5b09200.jpgMachiavel, lui, a désacralisé la politique, il en fait un simple instrument humain, profane, elle n’est plus ordonnée à une fin supérieure, transcendante. La question est de savoir comment prendre le pouvoir et le conserver. L’essentiel est la stabilité de l’Etat, ce qui est une redondance puisque “Lo Stato” est ce qui tient debout.

En soi, l’homme de pouvoir, le Prince n’est pas immoral, mais il doit savoir mener les hommes et jouer des circonstances. Se faire “renard” ou “lion” selon le cas où primera la ruse ou la force, se faire tour à tour aimer et craindre, sachant qu’il n’est pas totalement maître de

l’histoire puisque celle-ci pour moitié peut se laisser guider par sa “virtù”, puissance et virtuosité, et pour autre moitié est “fortuna”, à l’image du fleuve impétueux dont on ne peut arrêter le cours mais seulement l’endiguer.

En ce sens la grande découverte de Machiavel est que la politique est un artifice. Telle est l’essence de la conception moderne de la politique, qui, historiquement verra toujours subsister à ses côtés la conception classique, et se développera selon cet axe de l’artifice pensé rationnellement, par un calcul, et dont les théories du contrat seront très largement tributaires.

Dès lors, l’ordre politique est essentiellement humain, dérivé de l’accord, du pacte d’obéissance qu’un peuple passe avec son Souverain. L’autorité de ce dernier n’est plus réputée être naturelle, ainsi chez ces libellistes appelés monarchomaques au 16ème siècle, contestant l’autorité du Roi. Souvent protestants – parfois catholiques – ils justifient leur rébellion en rejetant un ordre politique jugé comme étant illégitime.

C’est dans ce contexte que sera pensé le concept de Souveraineté et discutée la question de la légitimité de l’institution politique. Si l’idée de Souveraineté existe depuis l’Antiquité puisqu’elle est inhérente à toute forme d’exercice du commandement politique, la conceptualisation qu’en fait Jean Bodin (1520-1596) sera reprise dans la philosophie politique moderne.

Dans les “Six livres de la République” il la définit comme “puissance absolue et perpétuelle d’une république”. C’est ainsi qu’une nation se constitue en Etat, s’identifie à celui-ci. La Souveraineté devient puissance absolue fondant la République, c’est son âme même. Le lien unissant un peuple à son gouvernement réside dans la loi, le Souverain fait les lois, la puissance de gouverner s’identifie au pouvoir de légiférer. De ce fait le prince sera au-dessus des lois, idée reprise ultérieurement au 17ème siècle par Hobbes pour qui le Souverain ne saurait être soumis à la loi. Si le Souverain ne peut plus être fondé par le recours immédiat à la transcendance, il est néanmoins resacralisé sous une forme profane dans la figure de la souveraineté absolue de l’Etat : “tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés” (Carl Schmitt).

L’autre volet de la discussion repose sur la théorie du contrat. Ce dernier s’enracine dans la doctrine du droit naturel. Envisagé du point de vue de la légitimité des fondements de l’Etat, comme artifice produit par l’homme, le droit naturel est conçu soit comme droit de la force, soit comme droit idéal.

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Le première conception est représentée par Hobbes et Spinoza. A l’état de nature – fiction idéologique – règne un droit de nature défini “par le désir et la puissance” (Spinoza), comme étant “le droit de chaque homme de faire ou de posséder tout ce qui lui plaît” (Hobbes). Rien n’y est injuste ou juste avant l’établissement de la loi civile. Pour Hobbes, l’état d’insécurité résultant de l’exercice du droit naturel (“guerre de chacun contre chacun”) pousse l’homme, par une loi naturelle inhérente à l’être de raison qu’il est, à faire un calcul afin de quitter cette situation. Ce sont les termes du contrat, du pacte qui fait disparaître cette situation arbitraire (analogue à la guerre civile, ou au désordre régnant à l’intérieur de certains Etats…) afin d’établir un Etat rationnel.

L’idée d’un droit naturel “idéal” est représentée par l’Ecole du droit naturel au 17ème siècle. Elle a servi de base à ce qu’on a appelé Droit des Gens. Ainsi le philosophe et juriste hollandais Grotius (1583-1645) dit que le droit naturel émane de la nature sociale de l’homme : c’est d’elle que la raison humaine, observant les diverses pratiques, dégage les principes d’un droit universel, immuable. Il est distinct du choix volontaire, arbitraire.

Il peut cependant être rattaché au droit divin “puisque la divinité a voulu que de tels principes existassent en nous” (Grotius). Cependant, cette distinction atteste un passage de l’ordre de la Providence à celui de l’humanité. C’est un droit rationnel. Cette doctrine peut aboutir sur une vision individualiste – Locke pense que les hommes à l’état de nature sont libres, égaux, éclairés par la raison, peuvent donc respecter les préceptes du droit naturel ; l’organisation politique n’étant nécessaire que pour préserver les prérogatives naturelles de l’homme (liberté, égalité, propriété), vision anarcho-libérale – ou bien sur un humanisme rationnel (Kant) pour lequel la raison triomphe à travers une légalité propre à régir les peuples libres, car le droit est la notion se dégageant des conditions dans lesquelles la faculté d’agir d’autrui d’après une “loi universelle de liberté”. Kant défendra grâce à cette théorie, l’idée problématique d’une Société des Nations à partir d’un point de vue cosmopolitique.

31_big.jpgPoussée à l’extrême la thèse d’un droit naturel idéal débouche sur la conception d’un idéal de justice existant au-dessus du droit positif. “Il existe un Droit universel et immuable, source de toutes les législations positives, il n’est que la raison naturelle en tant qu’elle gouverne les hommes” (Avant-projet du Code Civil de l’An VIII). Le droit naturel a pour but la protection de ces droits imprescriptibles qui sont, aux termes de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 : liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression.

Mais que dire si le Droit universel s’incarne adéquatement dans la loi positive, si ce n’est celui qui dispose de la puissance inhérente à cette loi. Cette théorie se traduit en particulier dans ce que Carl Schmitt appelle l’Etat législateur. “L’Etat législateur, à cause de la rigueur de son système de légalité, ne peut pas admettre la coexistence de plusieurs sources de droit, comme en droit romain, les lois, les plébiscites, les sénatus consultes ou les constitutions impériales, les édits de magistrats, les réponses des “prudents”, etc”9

Cet universalisme abstrait n’est pas sans dangers, et Carl Schmitt de nous mettre en garde : “Si la notion de loi perd un jour toute relation interne avec la raison et la justice et qu’on conserve néanmoins l’Etat législateur avec son sens propre de la légalité, qui concentre dans la loi tout ce qu’il y a de supérieur et de respectable dans l’Etat, – à ce moment-là, n’importe quelle ordonnance, commandement ou mesure…, n’importe quelle instruction à un juge pourra devenir, grâce à une décision du Parlement ou d’une autre instance préposée à l’élaboration des lois, légal et conforme au droit en vertu de la souveraineté de la loi. Le formalisme poussé à l’extrême finit par (…) abandonner ses relations avec l’Etat de droit”.10

Ainsi la fameuse “indépendance” des juges ne masque-t-elle pas son contraire, une hégémonie idéologique instrumentalisant le formalisme de la loi? “On suppose qu’en vertu des liens semblables qui rattachent tous les citoyens à un même peuple, tous doivent être, en raison de ces traits communs, essentiellement semblables les uns aux autres. Or, que cette hypothèse, supposant une harmonie nationale parfaite, vienne à disparaître, on verra immédiatement le pur “fonctionnalisme” sans objet et sans contenu, résultant des données de la majorité arithmétique, exclure toute neutralité et toute objectivité.”11

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Ainsi l’idéologie actuelle de la “citoyenneté” suffit-elle à définir un peuple, à dégager ces “traits communs”, à établir “l’harmonie nationale”? Un simple contrat, formel suffit-il à fonder une identité? Celle-ci n’a t-elle pas été forgée au cours de notre histoire? De là l’amnésie dont les mondialistes veulent frapper tous les peuples et en particulier le nôtre. Avons-nous oublié que les morts gouvernent les vivants (Auguste Comte)? De nos jours, au nom de la loi, il est possible d’éradiquer toute forme d’opposition à “l’Avenir radieux” que nous promet le Nouvel “Ordre” Mondial.

Dans ces conditions le peuple est devenu une notion abstraite, le citoyen n’est plus enraciné au sein d’une identité singulière qui pourrait être vécue à divers niveaux (occitan, français, européen, par exemple).

En France resurgit le débat sur les identités locales, régionales, nationales, avec une remise en question du centralisme jacobin et la discussion sur la question de la Souveraineté. S’il est évident que dans le camp SRE nous ne voulons pas d’une Europe élaborée par les mondialistes, Europe de carton-pâte aux antipodes d’une Europe de la puissance, le débat est plus nuancé en fonction des diverses sensibilités et des stratégies proposées en l’occurrence. De même le débat est faussé sur le plan sémantique lorsqu’il est présenté sous la forme de la dichotomie entre “souverainistes” et “non souverainistes”.

Si l’on n’est pas souverain c’est que l’on est sous la dépendance de quelqu’un d’autre, que l’on existe plus en tant qu’entité politique! Certes, c’est le rêve des mondialistes, mais il est possible de concevoir – grâce au principe de subsidiarité bien appliqué en corrélation avec les forces vives du pays – un emboîtement de divers étages de souveraineté.

A l’opposé de la théorie libérale qui décourage la participation du peuple à la vie publique et qui rejette toute initiative allant à l’encontre des normes juridiques et constitutionnelles du moment, a été formulée une autre conception par Johannes Althusius (1557-1638) adversaire de J.Bodin en philosophie politique.12

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Le philosophe allemand revient à Aristote, à sa conception de l’homme comme être social, enclin à la solidarité et à la réciprocité. Dans une démarche de type symbiotique, Althusius affirme que la société est première par rapport à ses membres, et se constitue par une série de pactes politiques, sociaux, conclus successivement de la base au sommet, par associations (“consociations”) naturelles, publiques, privées telles que familles, guildes, corporations, cités, provinces, etc. Modèle d’emboîtements allant du simple au complexe. Les individus sont membres de diverses communautés successives et il n’y a pas de contrat entre le souverain qui est le peuple et le prince qui se borne à administrer. Le contrat social est une alliance, communication symbiotique des individus définis par leur appartenance. Il est formé entre les communautés restreintes qui se fédèrent pour former un corps politique plus vaste et un Etat. Le peuple peut déléguer sa souveraineté mais ne s’en dessaisit jamais. Cela permet un respect des identités particulières, dont on rappellera qu’elles n’étaient point admises par Rousseau dans “Du contrat social” (“Il importe donc, pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui”. Livre II, Chapitre III), et qu’elles furent réellement abolies durant la célèbre nuit du 4 août 1789 et empêchées de se constituer par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdisant toute forme d’association entre gens d’un même métier et toute coalition.

Dans le système d’Althusius chaque niveau tire sa légitimité et sa capacité d’action du respect de l’autonomie des niveaux inférieurs, le principe de souveraineté est subordonné au consentement associatif, celle-ci est répartie à des niveaux différents de la vie politique.La clef de voûte du système est le principe de subsidiarité par lequel les décisions sont prises au niveau le plus bas possible grâce à des unités politiques ayant des compétences autonomes substantielles, et en étant représentées collectivement aux niveaux de pouvoir supérieurs. Le niveau local ne délègue au niveau supérieur que les tâches et responsabilités qu’il ne peut accomplir, telles que par exemple les fonctions régaliennes de l’Etat. La Nation serait donc une communauté de communautés.

Encore ne faudrait-il pas interpréter cette idée dans les termes du “communautarisme” véritable juxtaposition de communautés linguistiques, ethniques, religieuses ou autres qui n’auraient en commun qu’une proximité d’ordre géographique et de destin commun que la simple survie économique.

En dernier lieu la question d’un ordre politique et social se résume au fait de savoir qui détient la puissance et pour quoi faire. Aussi un peuple ne doit-il pas ignorer qui il est, quelle est sa nature profonde, quelles sont ses attaches essentielles. Ces thèmes fondamentaux ne sauraient être écartés par l’idéologie éradicatrice des Droits de l’Homme qui désubstantialise tout ce qu’elle touche13.

Il n’y a rien en effet de plus libre, et de plus facile à promouvoir sur le plan idéologique qu’une forme vide. Il est bien plus difficile de résister à ce courant homogénéisant du mondialisme et de nommer l’identité à laquelle nous devons nous référer pour être nous-mêmes.

Pour autant face au chaos actuel, à la véritable entropie générée par le système mondialiste, notre peuple ne pourra faire l’impasse sur ce choix décisif.

Delenda est Carthago!

Jean Galié

  1. 1) Aristote : Ethique à Nicomaque. Livre I.
  2. 2) idem.
  3. 3) Aristote. Politique
  4. 4) Aristote. Ethique à Nicomaque. Livre I.
  5. 5) Julius Evola. Révolte contre le monde moderne. Editions L’Age d’Homme p.41-42.
  6. 6) Husserl. La crise des sciences européennes en la phénoménologie transcendantale. p.364.
  7. 7) Cf. Le mythe de l’éternel retour (Mircea Eliade).
  8. 8) Julius Evola. Révolte contre le monde moderne. p.61.
  9. 9) Carl Schmitt. Du politique. “Légalité et légitimité” et autres essais. p.53. Editions Pardès.
  10. 10) idem p.54.
  11. 11) idem p.60.
  12. 12) Lire à ce sujet l’excellente contribution à ce débat dans le n°96 – novembre 1999, de la revue “Elements”, à laquelle nous empruntons ces informations.
  13. 13) Ainsi, par exemple, la doctrine Monroe conçue sur la base de l’espace concret, transformée par Theodore Roosevelt en principe impérialiste commercial devenant un principe universaliste s’étendant à la Terre entière, et conduisant à l’ingérence de tous en tout. “Alors que, dans l’idée d’espace, il y a celle de limiter et de répartir l’intervention donc un principe de droit et d’ordre, la prétention universaliste à l’ingérence mondiale abolit toute limitation et toute distinction raisonnables” Carl Schmitt. Ouvrage cité, p.127-28. “Le fait que la doctrine de Monroe ait ainsi pu être trahie et transformée en un principe impérialiste commercial demeurera, pour longtemps, un exemple bouleversant de l’effet que peuvent produire des slogans vides” Carl Schmitt, idem p.129.

mercredi, 11 novembre 2020

La Quatrième Théorie Politique ne cherche pas à créer un homme nouveau mais à « sauver » l’hommeLa Quatrième Théorie Politique ne cherche pas à créer un homme nouveau mais à « sauver » l’homme

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par Yohann Sparfell
Ex: https://www.in-limine.eu
 

the_rise_of_the_fourth_political_theory.jpgMais qu’est-ce que « sauver » veut dire ? Sauver est apporter le salut, cela nous le savons, tout le monde le sait sans néanmoins comprendre profondément la portée d’un tel geste. Apporter le salut, s’il faut donc définir correctement cette expression, signifie faire l’effort de redonner son intégrité à une personne, la considérer en son entièreté. Il ne s’agit donc point originellement d’une action visant à la soustraire d’un danger extérieur à elle-même, donc de se permettre soi-même de la dominer de ses sentiments prétendument supérieurs. Cela est autre chose que le salut. C’est d’ailleurs l’attitude prétentieuse qui prédomine dans notre monde lorsque de l’homme l’on désire en faire autre chose que ce qu’il est ! Mais nous y reviendrons.

« Sauver », du latin salutem (répondant au sanscrit sarvatâti, intégrité : salut, intégrité conservée) qui fut un mot originellement féminin, vise à estimer l’homme selon sa véritable nature, et plus encore, à lui faire grâce en réponse de sa nature essentielle, de sa personnalité. Cette approche, qui fut celle que les Anciens ont tâchés d’appliquer en leurs œuvres en faveur d’une harmonie humaine et cosmique, doit autant inspirer le respect de la personne humaine qu’exhorter à ce que cette personnalité puisse s’intégrer sans trop de heurts dans le concert de la diversité humaine. Il ne s’agit donc nullement de vouloir recréer un homme selon les impératifs d’une société donnée, mais de perpétuellement créer au sein d’une communauté humaine les conditions d’accueil de la diversité humaine. L’harmonie qui devrait en résulter ne saurait par conséquent être issue d’un conditionnement dont l’objectif serait de faire de l’homme tout autre que ce qu’il est véritablement, mais d’une acceptation pleine et entière de la diversité d’expression de la personnalité humaine de façon à pouvoir transmuer la confusion apparente découlant de la première en une manifestation toujours plus haute de la seconde.

Apporter le salut aux hommes est donc l’attitude au travers de laquelle l’on accueille l’autre en tant qu’il puisse véritablement, et selon toute la profondeur de son être, renforcer la communauté tout en s’accomplissant lui-même. C’est donc permettre qu’ils puissent s’élever en ayant été préalablement élevés à la réalité de leur être. Cela implique que la communauté, bien évidemment, soit pleinement consciente de cette nécessité... vitale. De son application, en effet, dépend la force, certains dirons aujourd’hui la « résilience », de la communauté humaine ; et de l’harmonie d’un monde à partir duquel l’on peut alors se permettre d’entrevoir un futur sous les auspices de la lumière (de la beauté éclatante d’une vision enthousiasmante). Bien entendu, cela suppose de prêter d’importants moyens tout d’abord à l’éducation et puis à l’enseignement, tel que nous avons pu le souligner dans notre ouvrage Res Publica Europae1.

La diversité naturelle des passions ne mérite pas que l’on en bafoue la richesse au nom de préjugés inopportuns. Et si nous déclarons que ces préjugés sont inopportuns, c’est parce qu’ils reposent sur une négation fondamentale : celle de l’homme en sa vérité. Les passions ne méritent point à ce qu’on les nie, mais elles devraient fort au contraire trouver en face d’elles des attitudes plus fortes visant à les incorporer (in-corporare) dans la diversité harmonieuse des hommes. Ces attitudes plus fortes sont celles qui tendent à ce que chaque être puisse prendre conscience de ses propres passions, ainsi d’ailleurs qu’à l’évanescence de celles qui ne sont point enracinés dans les origines de son être, mais sont le plus souvent issues de moments de faiblesse où l’on se laisse entraîner vers de bas instincts, non précisément perçus comme tels. L’homme, et non l’animal humain, apparaît au monde avec des passions, et le devoir des hommes mûrs est, justement, de faire en sorte que puisse chacun rencontrer celles-ci, c’est-à-dire se mettre face à elles de façon à pouvoir les dominer. C’est bel et bien à partir d’une telle posture que l’on peut être à même d’accroître la créativité en proportion de la diversité con-sentie.

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Ce que nous venons de dire, d’exposer à la vue des hommes de bien, n’est donc en aucun cas une quelconque volonté de forger un homme nouveau. L’homme est ainsi fait qu’il est homme et nul autre. Sinon de quel être parlerions-nous sinon d’un hypothétique sur-humain, ou bien peut-être d’un singe ? Car le « surhomme » tel que certains philosophes ont pu faire mention, n’est-il pas au fond un homme dont la conscience de sa fragilité le mettra à l’abri de devenir un « dernier homme » ? Or, de cet homme nouveau, les idéologies de l’époque moderne s’en sont servi de modèle à leur expansion dans les esprits de ces derniers hommes, de ces êtres incertains, symptomatiques d’une fin de cycle. Le sens même du mot « salut » devait par conséquent être galvaudé afin de répondre à cette ambition malsaine : « sauver » l’homme de lui-même, autrement dit, non pas le sauver d’un destin, lié à ses propres passions, mais de la possibilité même qu’il puisse tendre vers de possibles excès, ou inadéquations du moment, en fonction de ses passions. Il s’est donc avéré nécessaire de réprimer les passions, non point d’éduquer afin de les dépasser, de contraindre la nature de l’homme, non point la connaître afin de l’associer en harmonie. La volonté de créer un « homme nouveau » est bel et bien la plus grande comédie de l’humanité, une triste comédie.

Tout au long de notre ouvrage Res Publica Europae, nous avons tâché de présenter à nos lecteurs ces quelques Principes d’une Quatrième Théorie Politique (à la suite de la débâcle des trois qui l’auront précédées) d’après lesquels nous saurions en mesure de redonner à l’homme toute sa place. Et, bien sûr, cela implique en premier lieu de tâcher réellement d’aborder la nature de l’homme en son entièreté et toute la gamme de sa réalité. Il est des choses qui ne passent pas car elles sont de l’homme comme les passions sont de la vie. Vouloir le nier, c’est de façon occulte avoir l’envie malsaine de construire des systèmes totalitaires au dépend de l’homme réel. Le salut est un message universel à destination de la Réalité, et à dessein d’une force d’âme qui impose d’en découdre avec le faux.

Bien sûr, l’on pourrait à juste titre déclarer que la faux existe lui-même à sa façon tout autant que le vrai, mais, faudrait-il ajouter aussitôt, d’une position qui les dépasse tous deux de façon à pouvoir atteindre un niveau de Réalité supérieur, toujours plus spirituel pourrait-on dire (c’est-à-dire d’une position reconnaissant notre nature d’êtres de relations). Or, s’efforcer comme l’on fait de nos jours, à ce que le faux devienne le vrai et le vrai le faux, c’est irrémédiablement s’astreindre à ne pas pouvoir dépasser le stade de l’épreuve et ainsi s’enferrer dans les illusions comme, par exemple, se perdre sur les voies oniriques de l’ingénierie sociale. Lorsque l’on en reste au stade de s’éprouver, d’expérimenter, comme il doit en être immanquablement à l’origine de toutes choses, il demeure essentiel de faire la différence entre le vrai du faux, à moins de chuter au stade d’un relativisme dégradant.

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C’est ainsi qu’en ayant voulu tracer la voie d’une Quatrième Théorie Politique pour l’Europe, nous avons eu l’ambition d’exposer ces Principes qui sont pour nous les conditions mêmes d’une réelle justice que l’on doit aux hommes, aux hommes tels qu’ils sont en leur réalité vivante. C’est pourquoi nous avons exposé avec une passion non dissimulée l’importance du principe de singularité, de l’autonomie, de la justice, de l’autorité, de la hiérarchie naturelle, de l’éducation, de la souveraineté et de tout ce qui fait que l’homme puisse s’accomplir en toute justice et pour la Puissance de ses communautés. Des Principes que nous n’avons pas ressorti de nulle part, mais de notre fond culturel commun, de notre humanisme originel européen.

Puissions-nous avoir ainsi contribué à ouvrir une voie enthousiasmante pour les générations d’Européens à venir !

Yohann Sparfell

 

1Res Publica Europae, Nouvelle mission historique de l’Europe pour le XXIème siècle, éditions Ars Magna, Nantes, décembre 2019 : https://www.editions-ars-magna.com/index.php?route=produc...

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"Ce n'est pas autour des inventeurs de fracas nouveaux, c'est autour des inventeurs de valeurs nouvelles que gravite le monde ; il gravite en silence"

Friedrich Nietzsche

 

Introduction au site "In-limine" de Yohann Sparfell

Le dépassement du nihilisme qui caractérise les temps modernes ne pourra surgir d'un quelconque recours à l'une des idéologies du passé, communisme étatiste, fascismes ou libéralisme, même faussement adaptées aux temps présents, mais d'une pensée tout à la fois sociale et individualiste (non-libérale) !

Si le monde est pétri de contradictions, il ne sert plus à rien de vouloir les annihiler en instaurant une suprématie de la logique déductive-identitaire, comme l'a fait la Modernité. Ces contradictions sont constitutives de la vie, et en premier lieu de la vie humaine. La société n'est antagoniste à l'individu que de notre point de vue. En réalité, les deux sont aussi concurrents et complémentaires. La vie comme le monde sont complexes, et les réduire à des lois physiques ou mathématico-logiques ne conduit qu'à des impasses doctrinaux ou idéologiques au final. La société ne peut "être", c'est-à-dire, réellement, devenir, que par les individus qui la composent, et les individus ne peuvent devenir que par l'héritage et le soutien qu'ils reçoivent de la société, donc des Autres. La vie est communautaire-organique/individuelle-égoïste, et la réduire qu'à l'un ou l'autre de ces aspects est proprement ignorer la réalité. Tout comme est occulter la moitié du réel de vouloir le réduire à l'identité ou à l'altérité absolues.

C’est par le respect de chacune des singularités humaines et de l’inégalité ontologique qui les met en lien, par la subsidiarité bien comprise, par la justice selon le sens traditionnel de ce terme, et par la consécration d’une nouvelle "aristocratie" du "devoir", que les habitants actuels de l'Europe pourrons reconstruire souverainement une Puissance qui leur sera propre et qui consacrera leur besoin de se soumettre la politique comme l'économique en tant qu’instruments de leur volonté, de leur autonomie et de leur liberté. En cela, ils retrouveront le goût de leur humanisme originel, d'un type "antique" d'humanisme !

Le temps serait-il donc venu de faire de l'Europe un Imperium civilisationnel, et de ne plus rejeter toute idée de Puissance au nom d'une "liberté" idéalisée ? Car le monde qui se dessine est celui où s'affirmeront et les individus et leurs communautés, ainsi que, au-delà, les Imperii  civilisationnels ! À nous, hommes de conscience, d'en prendre acte !!

Yohann Sparfell

(Socialiste conservateur-révolutionnaire européen et individualiste "aristocratique" nietzschéen)

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"Il convient de savoir que le combat est universel et la lutte justice, et que toutes choses arrivent par opposition et nécessités."

Héraclite

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"La maturité de l'homme, c'est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu quand on était enfant"

Friedrich Niezsche

 
 

mardi, 03 novembre 2020

Penser la géopolitique (par Yohann Sparfell)

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Penser la géopolitique

par Yohann Sparfell

Ex: http://www.in-limine.eu

Comme en ce qui concerne chaque objet de nos intérêts en ce monde néolibéral, nous avons fort souvent une vue superficielle de la géopolitique qui ne nous permet que de nous en faire une opinion, soit de ne l’aborder que superficiellement. À partir de ce moment, nous nous plaçons dans une posture intellectuelle visant soit à rationaliser les évènements liés aux rapports internationaux dans le but de tenter de suivre par là-même le mouvement général qu’ils engendrent (c’est-à-dire d’essayer d’en déduire une finalité et, conservant toujours un temps de retard, de tâcher d’en subir le moins possible d’inconvénients), soit d’en critiquer le bien-fondé afin de vouloir en nier la portée véritable et profonde par crainte de devoir réfléchir sur nous-même et nos prétentions idéalistes tout en immisçant le doute quant à nos nouvelles utopies globalistes (ce qui s’avère être en propre : nier la réalité). Dans le premier cas, nous avons tendance à faire de la géopolitique un simple instrument déductif de nos calculs stratégiques (restant à l’état de « mathématiques doctrinales » à l’écart du devenir du monde), dans l’autre cas, ou bien nous préférons nous désintéresser des orientations que prennent les rapports internationaux ou inter-civilisationnels et nous nous replions frileusement sur la prétendue supériorité de nos préjugés nationaux et doctrinaux mis au goût du jour de la postmodernité, ou bien nous nous contentons de dénoncer sa propension gênante à faire ressortir certains incontournables de l’homme en société qui entachent alors les lubies idéologiques prétendument progressistes.

Comme pour l’autorité, et bien d’autres concepts, tels que nous les entendons de nos jours, la superficialité de nos interprétations actuelles, parce que nous ne savons plus les confronter à l’expérience du fait que nous les maintenons à l’état d’abstractions, nous amènent à engendrer un dualisme qui n’aurait, pour une civilisation véritablement consciente de la complexité de la vie humaine, et enracinée entre le passé et le futur, pas lieu d’être. Comme pour le reste, notre propre interprétation de l’enracinement ne nous conduit pas à en faire un simple attachement à une terre mais l’expression même d’une proximité avec ces « choses » qui nous environnent et qui nous font autant qu’elles nous font. Le dualisme est bel et bien en notre époque le symptôme d’un éloignement consommé par rapport aux « choses » que nous pouvons alors décrire et éloigner de nous comme de simples objets. C’est-à-dire, en ce qui concerne la géopolitique, que nous pourrions faire comme si elle n’existait tout simplement pas, tout comme, à l’inverse, en faire un objet conceptuel outil de nos pulsions rationalisantes. Force est de constater aujourd’hui que nous ne sommes plus à même d’en comprendre les véritables enjeux, parce que nous ne savons plus la penser comme épreuve de la Réalité.

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Penser la géopolitique, c’est tout d’abord en venir à admettre qu’elle est en vérité incontournable car étant une des principales façons par lesquelles nous pouvons aborder ces comportements (manières de porter ensemble, de pro-duire en commun) face aux « choses » qui structurent profondément nos espaces de vie. La géopolitique n’est tout d’abord qu’un mot, mais pour autant et de la façon dont il est composé (géo-politique), ce mot inspire vers l’un de ces comportements particuliers qui nous relie aux choses de notre espace, et à aucun autre. Ce mot évoque une vérité enfouie au plus profond de nos êtres que nous ne savons plus considérer dans toute sa primordialité et sa force. Nous sommes devenus sourds aux évocations qui émanent de la racine de nos existences et nous relient aux Autres, choses comme êtres, et nous préférons porter nos attentions aux murmures envahissants des idées et abstractions, ainsi qu’aux croyances, du moment qu’aucunes incertitudes ne viennent en troubler la rassurante position dominante. Alors, plutôt que de voir dans le mot géopolitique que le simple assemblage des mots « géographie » et « politique », il serait plus exact d’y voir le rassemblement de l’espace et d’un certain ordre singulier, du moins en rapport à la signification spirituelle de ces deux mots : espace et ordre. Que signifie alors ce rassemblement ? Que dans un espace que nous créons nôtre, nous y fondons « poétiquement » notre monde par la pensée dans ce qu’elle est de plus essentielle (au-delà de toute rationalisation). La géopolitique est donc un penser-le-monde.

Or, penser le monde, c’est créer un espace en y intégrant les « lieux » singuliers à partir desquels nous pouvons y concevoir un ordre (en y intégrant les « choses » qui alors y acquièrent un sens et une existence propre en relation avec cet espace). Penser le monde, c’est créer donc spirituellement un espace où se rassemble le monde inférieur de la matière, le monde supérieur de l’harmonie cosmique, les hommes mortels et les dieux. C’est, en d’autres termes, donner du sens aux « choses » en fonction de notre sensibilité, en les intégrant à un espace au sein duquel elles acquièrent une « place » qui nous renvoie chacune à notre propre image, à notre être-au-monde. C’est-à-dire que les choses elles-mêmes pro-duisent (pro-duire - mettre en avant, faire voir) un espace délimitant ce rassemblement, celui du Quadriparti comme le disait Heidegger, dans l’horizon de l’entendement qu’elles font naître et dans l’étendue du symbolisme qu’elles inspirent aux créateurs/perpétuateurs d’un monde. Chaque « chose » répond alors à un besoin fondamental de sens et de délimitation, et l’ordre par lequel ce sens et cette délimitation se déploient dans l’espace ainsi créé est le but réel et fondamental du politique, comme expression en devenir perpétuelle d’une réelle démocratie, apparaissant de la recherche d’un équilibre entre les antagonismes qui s’y meuvent, et qui le meuvent. L’espace devient alors une géographie « spirituelle ». Et la géopolitique, la science sacrée de l’ordonnancement de l’espace.

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Plus fondamentalement encore que du rapport entre grands espaces continentaux ou civilisationnels, la géopolitique nous parle donc du rapport intime entre nous-mêmes et notre espace de vie, entre nous et ce qui nous est propre, notre propriété (du latin proprius, prope : ce qui approche, ce qui touche). Elle nous parle de ce que Heidegger appelait l’ « habiter » le monde, soit une relation intime au monde. Car cet « habiter » est forcément singulier quel que soit l’espace en question, région, nation ou civilisation, qui en sont les aboutissements politiques, culturels et spirituels s’élevant graduellement d’une sensibilité charnelle à une volonté conquérante. L’ensemble des étants vivants comme inertes qui participent à la singularité de chaque espace, l’appréhension particulière du temps et des cycles qui y ont cours, l’aperception singulière de la marque symbolique des « choses », ainsi que notre soucis de nous inscrire en tant que mortels dans cet espace, font que notre habitation du monde, de notre monde, est chaque fois une épreuve artistique que nous mettons en œuvre grâce au politique (le politique, du grec πόλος – pôle, est la mise en œuvre d’un équilibre au milieu du mouvement de la diversité contradictoire au sein de la multitude – du grec πόλις – ville, cité ; nous pouvons, à ce propos, faire remarquer que la civitas gallo-romaine englobait d’ailleurs toute une contrée, à l’échelle du territoire gaulois qui y résidait et en avait fait leur espace vital).

Le politique est donc aussi être vue comme une « chose » agissante qui, par son action, intègre toutes les autres dans son jeu. Il les domine d’une certaine façon comme, par exemple, il domine (ou du moins le devrait) l’économie (du grec οἶϰος et νόμος – administration du domaine). De l’interprétation que l’on se fait du politique, de la façon dont nous en percevons, ou non, toute la subtilité (la manière délicate de dépasser les contradictions sans néanmoins s’efforcer de les nier), nous pouvons, ou pas, façonner (pouvoir créer) un monde à notre convenance (à notre sens commun, à ce dont on aboutit par accord commun – ici, s’accorder par l’esprit). Ce jeu de l’esprit doit forcément se situer au dessus de l’espace, au faîte de la Dimension, liant le ciel (πόλος – le Politique) et la terre (γῆ – la Gé-o). La géopolitique décrit donc l’aspect essentiel du politique par lequel, dans un espace donné et un lieu donné (un lieu géo-graphique, c’est-à-dire une terre que nous « décrivons » spirituellement, que nous contons poétiquement à partir de notre héritage commun), nous nourrissons un sens commun et nous élevons le Bien commun (qui ne saurait par ailleurs, malgré ce qu’en pensent certains, s’abstraire de la multitude d’où il apparaît, toujours transitoire, toujours en devenir comme cette multitude même).

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La géopolitique est donc une dynamique portée vers la verticalité. Son être véritable ne saurait s’affirmer dans des prétentions à caractère universaliste qui toutes ont visé à épancher à l’échelle globale une civilisation, donc bien au-delà de son espace, ainsi que l’ont pratiqués les impérialismes occidentaux du XIXème et XXème siècle, ou comme le pratique encore l’hégémonisme étasunien. La géopolitique est l’ordonnancement d’un espace, celui d’un peuple, ou ensemble plus ou moins fédéralisé de peuples ayant su constituer au fil de l’histoire un Imperium civilisationnel, c’est-à-dire un espace mené par une Idée suprême. La géopolitique est, au fond, cette Idée qui cherche à s’enraciner dans la terre, elle est la concrétisation (le rassemblement avisé par lequel l’on croît ensemble), au sein d’un espace ainsi constitué, du lien entre le ciel et la terre, entre la pensée et l’humus. La géopolitique est une affirmation spirituelle enracinée dans les profondeurs de l’être, avant même que de représenter un type d’étude des rapports internationaux. Elle est une homologation de tout ce qui constitue un espace singulier, ce qui signifie qu’elle participe elle-même, en même temps qu’elle dit les choses qui rassemblent comme celles qui posent la distance, de la mise en œuvre des liens qui, en et hors la trame formant cet espace, lui donne sens et consistance, mais aussi cohérence.

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Si nous nous en tenons à la géopolitique en tant qu’étude des rapports internationaux, nous ne pourrions prétendre que les contradictions et les incertitudes qui l’entourent, tel un halo angoissant nous occultant l’avenir, seraient susceptibles d’être résolues en nous enfermant toujours plus dans nos idéaux, c’est-à-dire en nous éloignant toujours plus de la réalité. Des rapports internationaux exigent une part importante de confiance, et en tout premier lieu, de confiance en soi ! Qu’est-ce que la confiance ? C’est tout bonnement se fier, avoir foi à l’endroit de ce dont, en commun, l’on s’engage pour l’affirmation de sa Puissance, mais dont il n’est possible d’en mesurer réellement les effets qu’en étant capable de réfléchir sur soi-même (et donc d’élucider les idées qui nous meuvent, ou de s’efforcer d’en faire, en quelque sorte, la généalogie pour parvenir à en maîtriser le cours et en amoindrir l’emprise spirituelle). Il s’agit donc là d’une disposition (toute intérieure, affective) de la volonté par laquelle l’on se place à une hauteur convenable de laquelle il nous semble possible de pouvoir dépasser la contradiction entre la chaleur de la croyance et la froideur du réel, et ce au travers de la créativité, de la justification, de la recherche incessante d’équilibre dans nos relations, ainsi que d’une lecture fine des situations par lesquelles pourront s’affirmer nos propres intérêts, ainsi, pensons-nous, que ceux de nos partenaires. Un peuple ou une civilisation qui engage des relations internationales doit donc faire preuve de force morale et spirituelle au travers de laquelle ils acquièrent une verticalité apte à leur assurer du succès dans ces relations. La confiance qui lie un peuple ou une civilisation à sa terre et à son espace ne peut que nourrir cette force, mais seulement si ce peuple ou cette civilisation se donne véritablement les moyens de faire retour à soi, ou en d’autres termes s’ils s’interrogent sur la nature de cette confiance et de ce qu’elle implique pour eux-mêmes, pour leur environnement, comme pour les Autres. La géopolitique est une science qu’il ne serait donc pas inopportun par les temps qui courent d’inoculer à une Europe en proie aux doutes sur elle-même. Mais surtout, un savoir expérimental par lequel l’on prend conscience que l’Idée même, le Grand paradigme comme le nomme Edgar Morin, n’échappe nullement au devenir, qu’elle ne saurait tenter de se figer éternellement sinon à détruire la force même d’une civilisation, et sa Puissance.

 

Yohann Sparfell

 

jeudi, 29 octobre 2020

État de droit, état d’impuissance ?

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État de droit, état d’impuissance ?

 
 
Ex: https://www.bvoltaire.fr

Après chaque attentat commis en France, les coups de menton du gouvernement se répètent, sempiternels et quasi à l’identique : « Les auteurs de ces attentats seront châtiés, la Justice passera. » On se souvient des déclarations de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, à la suite des attentats de 1986 : «  Nous allons terroriser les terroristes… » Il me précisa, lors d’un entretien, que la formule n’était que de communication afin de rassurer l’opinion, le gouvernement n’ayant aucun indice pour frapper les terroristes. Par la suite, les mesures effectives de répression se sont souvent perdues dans les méandres des procédures, judiciaires ou autres.

Après l’odieux assassinat de , Gérald Darmanin annonce l’expulsion de 231 islamistes radicalisés : belle décision, mais sera-t-elle suivie d’effet ?

Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, analyse avec une grande lucidité, dans un article publié par Le Figaro du 22 octobre dernier, les raisons de l’incapacité d’agir des gouvernements. Les autorités françaises se sont laissées enfermer dans les carcans juridiques des multiples textes de défense des droits de l’homme, interprétés strictement par le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, la Cour européenne de Justice et la Cour européenne des droits de l’homme ().

Jean-Éric Schoettl appelle à modifier la et à renégocier les traités européens pour restaurer notre souveraineté et la primauté des lois françaises sur la jurisprudence des cours qui n’ont de cesse d’encadrer et de limiter l’action régalienne de l’État dont la mission essentielle, ne l’oublions pas, est d’assurer la sécurité des Français.

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Dans l’actuel État de droit, tous les domaines d’action régaliens sont strictement encadrés par la jurisprudence des cours susmentionnées : le regroupement familial, la liberté d’association, l’expulsion des étrangers, le droit d’asile.

Dans ces conditions, la loi nationale est suspendue aux décisions des juges et souvent invalidée. Le vrai législateur n’est plus le Parlement mais les juges. Le gouvernement est sous contrôle permanent, les ministres sont devenus du gibier de mise en examen devant la Cour de justice de la République ! La judiciarisation de notre société est une dérive inacceptable qui paralyse l’action gouvernementale de l’État.

Chaque action des pouvoirs publics doit être, au préalable, analysée au regard des risques juridiques, voire pénaux encourus. Cette situation n’est pas sans rappeler la scène de Louis Jouvet jouant le rôle d’un chef de bande qui préparait ses actions en étudiant scrupuleusement… le Code pénal !

La paralysie de l’action régalienne du gouvernement est incompréhensible pour nos concitoyens qui accueillent au premier degré les déclarations martiales… sans suite ! Cela ne peut perdurer au risque de ruiner, à jamais, toute confiance dans l’autorité.

Il est urgent de restaurer l’autorité de l’État en rétablissant l’ordonnancement juridique naturel fondé sur le suffrage universel national, seul juge dans une démocratie souveraine. Cela passe par une révision constitutionnelle qui rétablisse la supériorité des lois sur les traités et accords internationaux antérieurs (article 55) et précise que l’expulsion des étrangers relève uniquement de l’autorité administrative, en écartant le juge judiciaire (article 66).

Ces propositions vont faire pousser des cris d’orfraie à tous les tenants du « politiquement correct » et à tous les défenseurs qui ont investi en masse ces domaines, que ce soit à titre professionnel ou, pis encore, au nom de leur idéologie.

Mais il y a urgence à agir pour restaurer l’autorité de l’État, car la situation présente nourrit l’extrémisme et les solutions radicales. Il faut, dans le monde inextricable des procédures, trancher le nœud gordien, sans attendre.

dimanche, 25 octobre 2020

Le moment illibéral

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Le moment illibéral

Par Raoul de Bourges
Ex: http://www.mauvaisenouvelle.fr

Nous trouvons-nous dans un moment illibéral incarné par les figues de Trump, Poutine ou encore Xi Jinping ? C’est la thèse par l’affirmative que soutiennent dans leur livre Ivan Krastev, influent penseur bulgare traduit dans dix-sept langues, et Stephen Holmes, professeur de droit à la New York University dont les recherches portent sur l’histoire du libéralisme européen et les échecs de la libéralisation dans les pays postcommunistes.

Au XVIIIème siècle, le poète romantique anglais Edward Young interrogeait ses contemporains : « Nous sommes tous nés originaux. Pourquoi sommes-nous si nombreux à mourir comme des copies ? » Avouons que nous pouvons faire nôtre son étonnement et l’appliquer à notre époque. Pour Krastev et Holmes, il s’agit d’expliquer que l’imitation engendre des insatisfactions quand elle ne conduit pas tout droit au fond de l’impasse. C’est ce qui s’est passé pour les pays de l’est de l’Europe qui, sortis du joug soviétique, ont cru s’assurer un avenir radieux en se jetant dans les bras du capitalisme et de la démocratie libérale. La chute du mur de Berlin en 1989 marquait alors l’espoir d’une réconciliation des deux côtés de l’Europe. Depuis, l’idéal de la société ouverte a pris du plomb dans l’aile et les désillusions des citoyens se sont traduites par l’érection de nouveaux murs, de nouvelles barrières : en 1989, on comptait dans le monde seize frontières fermées par une clôture, on en dénombre désormais soixante-cinq.

indextimepox.jpgNos auteurs pensent que l’illibéralisme qui se caractérise par le phénomène des populismes qui émergent sous différentes modalités est « une marée montante menaçante » prenant la forme de l’anarchie illibérale et antidémocratique. Ils ne conçoivent pas que les populismes puissent au contraire être l’expression d’une attente de démocratie, cette démocratie depuis trop longtemps confisquée par les élites libérales mondiales et leur soft power pernicieux. Le plafond de verre de leur analyse du populisme vu sous l’angle réducteur du danger constitue la limite principale de l’ouvrage.

Pour le reste, les analyses sont plutôt bien menées. L’année 2008 a notamment vu la crise financière mondiale ébranler les fondations d’un modèle économique que l’Occident pensait immuable. Ce séisme est « venu porter le coup de grâce à la réputation du libéralisme. » Pour expliquer les désenchantements que connaissent les pays d’Europe centrale et orientale, les auteurs font référence au philosophe français René Girard et sa théorie du désir mimétique : « Le philosophe René Girard a démontré que les historiens et les sociologues ont souvent traité par le mépris la place centrale de l’imitation dans la condition humaine, une négligence aussi trompeuse que dangereuse. Il a consacré sa carrière à étudier en quoi l’imitation pouvait engendrer des traumas psychologiques et des conflits sociaux. C’est ce qui arrive quand le modèle imité devient un obstacle à l’estime de soi et à l’épanouissement de l’imitateur. La forme d’imitation la plus susceptible d’engendrer le ressentiment et le conflit est, selon Girard, l’imitation des désirs. Nous n’imitons pas seulement les moyens, mais aussi les fins, pas seulement les instruments de la technique mais également les cibles, les objectifs, les buts et les modes de vie. Nous pensons que c’est cette forme fondamentalement éprouvante et conflictuelle d’émulation qui a contribué à déclencher l’ample révolte antilibérale actuelle. » Concernant la crise migratoire que connaît l’Europe, et dont le point culminant fut la décision unilatérale et irresponsable prise le 24 août 2015 par Angela Merkel d’ouvrir les portes à un million de syriens -ce qui de notre point de vue a signé la mort définitive de l’Europe telle que nous l’avions connue-, elle fait suite aux mouvements d’émigration et de dépopulation qu’ont dû subir les pays de l’est qui ont vu leurs élites étudiantes et économiques quitter le pays pour une fortune espérée meilleure à l’ouest.

La mondialisation a transformé le monde en village ultra-connecté. Les gens qui vivent hors de l’Amérique du nord ou de l’Europe occidentale comparent leur niveau de vie à celui des habitants de ces régions les plus prospères de la planète. Des pompes aspirantes se créent alors qui permettent le transfert des zones pauvres vers les zones riches. En 2019, le pacte de Marrakech sur les migrations « ordonnées et régulières » ratifié par de nombreux pays a, quant à lui, conféré un cadre moral et juridique à la vision multiculturaliste du monde. Le journaliste franco-américain Stephen Smith projette qu’en 2050, 20 à 25% de la population européenne sera d’origine africaine. Mutation extraordinaire que nous subirons sans l’avoir décidée. Il y a cinquante ans, le très libéral Raymond Aron qui applaudirait à la globalisation d’aujourd’hui, annonçait avec acuité : « Dans l’humanité en voie d’unification, l’inégalité entre les peuples prend le sens qu’avait jadis l’inégalité entre les classes. »

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Concernant le déclin de l’Occident prophétisé par Soljenitsyne et largement métastasé aujourd’hui dans toute l’Europe de l’ouest, les deux auteurs croient en la possibilité de son endiguement par la grâce de dirigeants américains et européens qui surgiraient tels des hommes providentiels. Ces figures quelque peu prophétiques permettraient une reconquête libérale et maintiendraient alors l’héritage des Lumières bien cabossé par les peuples en colère. Ce que refusent malheureusement de voir nos deux éminents intellectuels, politiquement correct oblige, c’est que le libéralisme libertaire a charrié sécularisme, individualisme, multiculturalisme et mariage gay, achevant brillamment son œuvre de déconstruction. Et cela touche à la fois l’ouest et l’est. Ce n’est donc pas de cette forme de libéralisme dont les peuples ont besoin mais d’un retour à une démocratie réelle et à des institutions restaurées dans leur autorité qui iraient à contre-courant du progressisme échevelé. L’imitation des nations de l’ouest par celles de l’est n’est qu’une chimère car il n’y a rien de sérieux ni de moral à imiter dans la décadence.

Le vrai enjeu, faut-il souffler à nos auteurs, n’est pas dans le combat à l’encontre des populismes mais dans la primauté accordée à la démocratie véritable s’inscrivant dans le cadre national contre le libéralisme sans frontières. C’est donc avec les populismes, à l’intérieur des nations mêmes, qu’il faut trouver les solutions de demain et non contre eux. Holmes et Krastev appartiennent au moule des élites que la cécité arcboute sur un pré carré orgueilleux. Nos deux auteurs représentent ainsi l’antithèse d’un Christophe Guilluy, auteur de La France périphérique, et du Crépuscule de la France d’en-haut qui, s’il les rejoints sur des aspects du diagnostic, a bien compris depuis longtemps de quel côté se trouve la légitimité : celui du peuple.

mardi, 20 octobre 2020

Carl Schmitt and the Development of Conservative State Theory in China

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Carl Schmitt and the Development of Conservative State Theory in China

Seminar Series: Greater China Legal History
Organized by: CUHK LAW
 
Speaker: Prof. Ryan Mitchell
Date: 9 October 2020
 
 
Over the last decade or so, China’s Supreme People’s Court and the country’s political leaders have consistently rejected the idea of a “judicialized” Constitution, allowing individual litigation.
 
At the same time, the government has also been more vocal and emphatic than ever before in endorsing the national Constitution’s practical and symbolic importance. Is it really possible to endorse “constitutionalism” without endorsing judicial review? If so, how? Arguably, both Anglo-American liberalism and Marxism fail to provide a model for such an approach to constitutionalism—but other traditions, including German conservative state theory, have helped to fill the gap.
 
In discussing the reception of this body of thought in China, this lecture will focus specifically on the role of Carl Schmitt, the controversial but still influential jurist who argued for Executive “dictatorship” after World War I, was a leading critic of liberalism, and later was disgraced after choosing to collaborate with the Nazi regime.
 
Although Schmitt’s political choices have made him an uncomfortable source of guidance in China as elsewhere, his unique and thorough arguments about public law and politics continue to provide him with global influence. From issues of territorial sovereignty to the balance between different institutions of government, Schmitt’s version of constitutionalism can help to explain various developments in modern China’s legal order, and even some similar trends worldwide.

mercredi, 14 octobre 2020

»Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse« - Dr. Erik Lehnert auf der 21. Sommerakademie des IfS

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»Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse«

Dr. Erik Lehnert auf der 21. Sommerakademie des IfS

 
Dr. Erik Lehnert sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über »Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse«.
 
 
41O4B2XrQgL._SX342_BO1,204,203,200_.jpgWeitere Informationen zu Dr. Erik Lehnert, Berlin: https://sezession.de/author/erik-lehnert
Weitere Informationen zum IfS und zu den halbjährlichen Akademien des Instituts: https://www.sezession.de https://www.staatspolitik.de
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mardi, 13 octobre 2020

»Identität und Solidarität« - Benedikt Kaiser auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

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»Identität und Solidarität«

Benedikt Kaiser auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

 
 
 
Benedikt Kaiser sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über die Kombination von »Identität« und »Solidarität«, also jenem Zement, der nach dem französischen Soziologen Émile Durkheim die Gesellschaft zusammenhält. Nur so lasse sich ein funktionierender Sozialstaat 2020 ff. realisieren.
 
 
l_BK_Cover_web_720x600.jpgWeitere Informationen zu Kaiser: https://antaios.de/buecher-anderer-ve....
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lundi, 12 octobre 2020

Freund, le conflit au coeur du politique

retrouvez-les-photos-de-l-hommage-a-julien-freund-organise-le-samedi-7-octobre-par-la-mairie-a-henridorff-place-de-l-eglise-et-salle-socioculturelle-images-proposees-par-quot-mairie-(henridorff)-quot-1507539609.jpg

Le Cercle Philosophique d'Ainay:

Freund, le conflit au coeur du politique

 
 
C'est avec Emma Limane, étudiante en droit et science politique, que nous reprendrons nos travaux en ce début d'année 2019. Ce travail portera sur la pensée de Julien Freund, théoricien de la science politique, disciple de Carl Schmitt, et plus précisément sur ce qu'il appelle "l'essence du politique". Au cours de cette première séance portant sur le thème des questions contemporaines, nous nous demanderons avec Emma Limane et Freund ce que signifie le troisième grand présupposé du politique, à savoir la distinction AMI/ENNEMI. Qu'est-ce qu'une communauté politique, sinon l'affirmation d'un "nous" face à des "autres"? Cette distinction, si elle est essentielle au politique, constitue-t-elle une dialectique inébranlable, nous condamnant à envisager la politique comme le lieu d'un conflit sempiternel entre les communautés ? Et que vaut cette distinction aujourd'hui dans un contexte international qui prétend unir les hommes au profit d'une paix universelle ?
 

»Ordnungsstaat, Rechtsstaat, Sozialstaat« Dimitrios Kisoudis auf der 21. Sommerakademie des IfS

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»Ordnungsstaat, Rechtsstaat, Sozialstaat«

Dimitrios Kisoudis auf der 21. Sommerakademie des IfS

 
 
Dimitrios Kisoudis sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über seine an Carl Schmitt und Ernst Forsthoff geschulte Konzeption des »Ordnungsstaates«.
 
 
51DE75d5JNL._SX315_BO1,204,203,200_.jpgWeitere Informationen zu Kisoudis: https://antaios.de/antaios-liefert-je...
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L’Europe décadente de Julien Freund

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L’Europe décadente de Julien Freund

 
Nouvelle émission de « Fenêtre sur le Monde » présentée par Jean-Baptiste Noé sur l’oeuvre du philosophe et ancien résistant Julien Freud.
A l’occasion de la réédition de l’ouvrage L’Europe décadente aux éditions Europolis,
la philosophe Chantal Delsol,
l’économiste Markus C Kerber et 
le sociologue Michel Maffesoli nous présentent l’œuvre de Julien Freund.
A une époque où nous assistons à la faillite des élites, au rejet de la politique par le peuple, l’ouvrage L’Essence du politique de Julien Freud est plus que jamais d’actualité.

Ouvrages de Julien Freund: [...]

  • L’Essence du politique (Sirey, 1965 ; Dalloz, 2003, 870 p.).
  • Sociologie de Max Weber (PUF, 1966 et 1983).
  • Europa ohne Schminke (Drückerei Winkelhagen, Goslar 1967).
  • Qu’est-ce que la politique ? (Seuil, 1968 et 1978).
  • Max Weber (Collection « Sup-Philosophie » PUF, 1969).
  • Le Nouvel âge. Éléments pour la théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière, 1970).
  • Le Droit d’aujourd’hui (PUF, 1972).
  • Les Théories des sciences humaines (PUF, 1973).
  • Pareto. La théorie de l’équilibre (Seghers, 1974).
  • Georges Sorel. Eine geistige Biographie (Siemens-Stiftung, Munich 1977).
  • Les Problèmes nouveaux posés à la politique de nos jours (Université européenne des affaires, 1977),
  • Utopie et violence (Marcel Rivière, 1978).
  • Il luogo della violenza (Cappelli, Bologna 1979).
  • La Fin de la Renaissance (PUF, 1980).
  • La crisis del Estado y otros estudios (Instituto de Ciencia política, Santiago de Chile 1982).
  • Idées et expériences. Les activités sociales : regards d’un sociologue (Institut des Sciences Politiques et Sociales de l’U.C.L., Louvain-la-Neuve 1983).
  • Sociologie du conflit (PUF, 1983).
  • Idées et expériences (Institut de sociologie de l’UCL, Louvain-la-Neuve 1983).
  • La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984).
  • Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve 1984).
  • Politique et impolitique (Sirey, 1987).
  • Philosophie philosophique (Découverte, 1990).
  • Études sur Max Weber (Droz, Genève 1990).
  • Essais de sociologie économique et politique (Faculté catholique Saint-Louis, Bruxelles 1990).
  • L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991).
  • D’Auguste Comte à Max Weber (Economica, 1992).
  • L’Essence de l’économique (Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 1993).
  • Diritto e Politica. Saggi di filosofia giuridica (Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli 1994).
  • Il Terzo, il nemico, il conflitto. Materiali per una teoria del Politico (Giuffrè, Milano 1995).
  • Warfare in the modern world: a short but critical analysis (Plutarch Press, Washington D.C. 1996).
  • Voci di teoria politica (Antonio Pellicani Editore, Roma, 2001).
  • Vista de conjunto sobre la obra de Carl Schmitt (Struhart & Cía., Buenos Aires, 2002).
  • Les Lettres de la vallée (non paru).
  • Die Industrielle Konfliktgesellschaft (1977)
  • Der Unauffindbare Friede (1964 Berlin pour le 75e anniversaire de Carl Schmitt)
  • Die Politik als Heillehre (1974)
  • Die Demokratie und das Politische (Berlin 1967 288 pages)
  • Die neue Bewertung des Krieges als Mittel der auswärtigen Politik nach 1870 (1970)

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Traductions

Autres publications

Son œuvre comprend aussi un nombre très important d’articles, d’essais, de préfaces et de communications. On en trouvera la liste dans une bibliographie de Julien Freund établie par Piet Tommissen (de), qui va jusqu'en 1984 et qui figure en annexe de Philosophie et Sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 415-456 : « Julien Freund, une esquisse bio-bibliographique »).

large.jpgBibliographie

unnamedpatjf.jpgRevues

  • Revue européenne des sciences sociales, « Critique des théories du social et épistémologie des sciences humaines : études en l’honneur de Julien Freund », 19, no 54-55, Droz, Genève 1981.
  • Revue des sciences sociales de la France de l’Est, « Région et conflits. Hommage à Julien Freund » (Strasbourg), no 10.
  • (nl) Tijdschrift voor de studie van de verlichting en van het vrije denken, "Politiek en decadentie volgens Julien Freund", 11, no 4, 1983.
  • (it) Studi Perugini, Università degli Studi di Perugia, no 1, 1996.
  • (es) Empresas políticas, Sociedad de Estudios Políticos de la Región de Murcia, no 5, 2004.
  • Alain Bihr, "L’extrême droite à l’université : le cas Julien Freund", Revue Agone, no 54, 2014.
  • Charles Blanchet, "Julien Freund (1921-1993). Le maître de l’intelligence du politique et notre ami à l’« enfance éternelle »", Paysans (París), vol. 37, no 221, 1993, p. 7-20.
  • Thierry Paquot, "Julien Freund, l’intellectuel frontière qui n’a pas de frontière", Revue des sciences sociales, no 40, 2008, p. 154-161.

source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Freund

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voir aussi: Le Cercle Philosophique d'Ainay - Freund, le conflit au cœur du politique

dimanche, 11 octobre 2020

La géoculture, empreinte des nations durables

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La géoculture, empreinte des nations durables

Article rédigé par Thomas Flichy de La Neuville et Olivier Hanne
 
Ex: http://www.libertepolitique.com

Confrontée aux secousses erratiques de la mondialisation, la France qui ne s'aime plus guère elle-même, est ébranlée. L’application mécanique des recettes produites par l’idéologie libérale et techniciste lui fait perdre pied. Pourtant le génie français a toujours su dans l’histoire conjuguer la perspicacité politique avec la finesse culturelle pour comprendre et maîtriser le monde. Pour retrouver cette intelligence, un livre nous aide à découvrir la « géoculture », et comment les civilisations durables s'appuient nécessairement sur une culture assumée.

Dans leur nouvel essai, Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables (Lavauzelle), les géopoliticiens Olivier Hanne et Thomas Flichy de La Neuville montrent qu’au rebours des approches superficielles, limitées au flux et au reflux passager de la puissance, notamment économique, l’approche géoculturelle sonde le principe vital des civilisations. Avec elle, nous pouvons ne pas nous condamner à des succès provisoires. En mesurant la capacité des nations à transmettre la vie sous toutes ses formes, l’analyse géoculturelle touche au coeur de l'âme des peuples et des civilisations.

Liberté politique est heureuse de publier les bonnes feuilles de cet essai, avec le texte de son introduction :

Au commencement était la culture 

TOUT EST ECONOMIQUE. Affirmé, images à l’appui, puis ébruité à l’infini au coeur des cascades de l’information, ce slogan, amplifié par son propre écho, a fini par prétendre incarner une réalité, tant il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de démontrer pour convaincre.

À première vue, les institutions supranationales, les regroupements d’États, les sommets internationaux, les nominations gouvernementales, tout ce qui faisait le cœur de l’action politique est aujourd’hui devenu un simple appendice de la décision économique. Quoique le mot « décision » semble lui-même trop fort : les raisons des crises économiques nous échappant la plupart du temps, nous nous sommes convaincus qu’une bonne décision aujourd’hui (une dévaluation, une baisse des taux d’intérêts) peut être catastrophique demain.

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Dans ces circonstances, à quoi bon décider ? La croyance en la primauté de l’économique rejoint finalement l’affirmation de Staline, selon laquelle, « la technique décide de tout ». Ce qui était vrai pour le socialisme l’est encore plus dans le libéralisme mondialisé. Certes, l’humain n’est pas négligé, mais il se présente comme la variable d’ajustement en attendant la stabilisation du système économique qui deviendra social tôt ou tard… ou jamais. 

Le primat de l’économie, une illusion d’optique

9782856524282-xs.jpgEn réalité, ce primat de l’économie se révèle une illusion d’optique. Il est d’ailleurs contesté par les mouvements altermondialistes et écologiques, les chiffres de l’abstention électorale et le retour de la rhétorique patriotique. Partout, des appels à une autre « gouvernance » se font entendre. Un nouvel avenir est annoncé, celui du renversement des échanges de marchandises au profit des solidarités sociales. Mais, paradoxalement, la contestation altermondialiste ne remet pas fondamentalement en cause le primat de l’économie : la décroissance, l’inversion des profits et la taxation des bénéfices financiers ne servent qu’à promouvoir une nouvelle révolution matérielle mondiale. Bref, même chez ceux qui souhaitent abolir le capitalisme marchand, tout ne reste qu’économique. Or les données chiffrées ne nous offrent qu’une idée imparfaite des risques à venir. De plus, ces indicateurs complexes se manipulent aisément. La réduction du monde au simple jeu des forces économiques fait finalement obstacle à l’intelligence car elle passe deux dimensions essentielles sous silence : l’affirmation des cultures et la volonté de puissance.

Le monde artificiel fabriqué par l’appareil médiatique a relégué la culture à un objet de musée : les hommes sont présentés comme interchangeables. Notre système économique, sentant bien que les cultures représentent un obstacle à l’échange des biens finit par nier l’altérité. Il cautionne ainsi l’idée selon laquelle le développement de l’islamisme reposerait exclusivement sur une frustration économique, en oubliant les causes religieuses de ce renouveau. Or l’enracinement dans une culture est loin d’être une illusion. Tout culture fixe en effet les normes d’intégration dans le groupe. Sans culture, l’être humain est un individu, avec elle il gagne le statut de personne. Elle lui fournit ses repères, ses modes d’action et sa pérennité. Disons-le : sa durabilité :

La culture est ce qui permet l’orientation dans le monde. L’orientation n’est pas un simple repérage, car si le repérage nous permet de savoir où nous sommes, l’orientation nous aide à décider où nous devons aller. Le culturel porte sur tout ce pour quoi il y a une bonne façon de procéder. Avec la culture, on introduit donc la notion de valeur [1].
 
Le facteur éthique

La culture implique la morale. C’est elle qui donne la notion du bien, du beau, du juste et du vrai, même si ces notions ne recouvrent pas le même sens sous toutes les latitudes. Aussi simplifions à l’extrême : la culture définit l’humain.

Aujourd’hui, la négation du facteur culturel a déjà débouché sur des échecs spectaculaires pour l’Occident.

Ceci est vrai pour les armées, qui s’exercent à faire la guerre sur des scenarii virtuels, comme si l’on pouvait conduire des combats indépendamment des civilisations dans lesquels ils s’inscrivent. Cette manie du jeu de rôle dans les grands états-majors débouche mécaniquement sur des désastres sur les théâtres d’opérations : de l’Afghanistan à la Libye en passant par la Syrie et l’Irak. Or, pour la plupart des pays non-occidentaux, la culture a une importance capitale. Il n’est que de regarder le taux de perte parmi les interprètes américains en Irak : les insurgés ont ciblé les passeurs de cultures autant que les chefs de section. C’était le meilleur moyen pour eux de réduire à néant leur adversaire.

Ces mêmes réflexions s’appliquent aux entreprises internationales où triomphent les procédures standardisées de négociation, utilisées de la même manière que l’on soit au Vénézuéla ou en Iran. Si on y ajoute la mobilité des cadres, qui restent deux ou trois ans en poste et leur confinement géographique dans des centres d’affaires où ils ne sont nullement en contact avec le pays réel, il s’en suit une perte nette d’influence. Qu’on le veuille ou non, la culture est une réalité. Elle n’est rien de moins que la sève des civilisations. Or, ces civilisations ont pour vocation de perpétuer la vie. C’est pour cette raison que la négation du facteur culturel se présente comme le premier pas vers la barbarie.

L’impact de l’« estime de soi »

D’autre part, la fascination pour l’économie nous fait oublier la volonté de puissance. Par exemple l’appropriation massive des terres ou Landgrabbing est analysée exclusivement en termes de placements économiques. Or la plupart des États, à moins qu’ils soient trop faibles pour exercer la puissance ou parce qu’il y ont renoncé, ont des stratégies politiques. Celles-ci peuvent être examinées au prisme de l’histoire. La stratégie chinoise actuelle fait étrangement penser à celle adoptée par la dynastie Tang dans les premiers siècles de notre ère lorsque la Chine centrale lança une formidable poussée vers la Caspienne et le Golfe persique.

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L’exercice de la puissance repose sur des critères objectifs qui ne sont nullement caducs. On peut en déterminer trois. En premier lieu, l’estime collective de soi, ou la force des valeurs culturelles et religieuses qui propulsent les collectivités émotives vers le martyre ou le djihâd. En second lieu, le dynamisme en matière d’innovation et de travail : la recherche et la créativité des minorités actives se présentent comme le fer de lance du développement économique. En troisième lieu, le dynamisme démographique prolongé sur des générations entières. Les Français actuels descendent génétiquement de 25 % des Français de 1789. Là encore, seule une minorité a la capacité de se projeter dans l’avenir par une démographie responsable, c'est-à-dire riche d’enfants. L’addition de l’estime de soi, des capacités d’innovation et de se projeter dans l’avenir a longtemps été le privilège de l’Europe. Mais les temps ont changé.

Les puissances durables sont d’abord culturelles

Chacune à leur manière, l’anthropologie et la géopolitique ont tenté de combattre une vision du monde réduite au choc des intérêts financiers. Toutefois, ces vues alternatives n’ont pas réussi à se conjuguer l’une à l’autre tout en intégrant le facteur économique afin de restaurer une véritable intelligence du monde auprès d’élites désorientées. La thèse que nous développerons dans cet ouvrage est la suivante : les civilisations durables s'appuient nécessairement sur une culture assumée. Il convient d’opposer aux nations géoculturelles qui puisent leur puissance et leur rayonnement dans leur identité profonde, des constructions techno-abstraites qui tâchent de compenser l’artificialité de leurs origines par le recours à la violence et à l’oubli. Les premières sont capables d’influence dans la longue durée et même au-delà de leur mort politique comme ce fut le cas pour l’empire romain.

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Même submergées par les invasions, les nations géoculturelles sont capables d’influence durable. Ainsi la Perse put irriguer le monde musulman pendant des siècles malgré son impuissance manifeste. Forte de sa démographie et de la préservation de ses élites, l’Inde contemporaine s’inscrit dans ce cadre. Elle s’oppose à ce titre aux constructions abstraites des clercs et des théoriciens, telles que les empires de Charles Quint, de Napoléon Ier, ou des Etats-Unis contemporains, dans lesquels l’absence d’unité culturelle se révèle le premier facteur de fragilité, et ce au-delà des tentatives factices d’homogénéisation.

9782940632367-200x303-1.jpgOr ce qui est vrai pour les empires ne l’est pas moins pour les entreprises, dont la durée de vie et la santé financière sont menacées par leur croyance au mythe techniciste. Ainsi en est-il au dernier stade pour les familles qui se perpétuent dans la longue durée lorsqu’elles adhèrent à des valeurs spirituelles forçant leurs membres à se dépasser ou à l’inverse s’atomisent en une multitude d’individus rivaux, attirés, tels des lucioles, vers le profit qui les calcinera. Les nations durables s’enracinent par conséquent dans des cultures qui peuvent être d’une variété inouïe, mais qui pour perpétuer la vie, doivent pouvoir se renouveler sans pour autant se renier.

La culture comme transmission de la vie

La stratégie géoculturelle consiste à puiser ses forces, y compris économiques, au sein de sa culture millénaire. La géoculture se révèle, par là-même plus qu’une nouvelle approche géopolitique ou historique, elle se présente comme la reconquête intellectuelle du vieux concept de civilisation, débarrassé de ses scories dominatrices, car seule la culture perdure lorsque les crises financières balaient les puissances économiques. Cette approche du monde dévoile des paradigmes que les économistes ne peuvent plus voir au travers des bilans chiffrés.

Avec ce prisme, les hiérarchies se recomposent, tant il est vrai que scruter les empires à l’aune de leur empreinte géoculturelle, c’est contempler l’âme du monde. Enfin, notre analyse veut contourner le matérialisme de Marx, figé dans son mécanisme brut[2], mais aussi le capitalisme mondialisé en bout de course, pour voir de nouvelles hiérarchies, plus discrètes, mais plus identitaires et donc pérennes. Fondement de la civilisation durable, l’approche géoculturelle fixe aux nations un objectif qui dépasse la domination économique, l’influence culturelle ou la puissance politique : il s’agit tout simplement de la transmission de la vie.

geoculture.jpgOlivier Hanne, Thomas Flichy de la Neuville

Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables
Lavauzelle, février 2015
116 pages, 17 €

_______________________________

[1] R. Brague, Modérément moderne, Flammarion, p. 201. En son temps, Abram Kardiner ne disait pas autre chose, The Individual and his Society, Columbia Univ. Press, 1939.
[2] « L’histoire n’est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmises par toutes les générations précédentes », K. Marx, F. Engels, L’idéologie allemande, 1845. L’histoire ne serait donc que cela ?

 

Aux éditions Bios, le nouveau livre de Thomas Flichy de la Neuville:

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Pour toute commande: https://editionsbios.fr/

Une émission de Thomas Flichy de la Neuville

sur RT:

 

 

Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

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Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

“Socialism” is intrinsic to the “Right.” When journalists and academics refer in one breath to “liberalism, neoliberalism, and the Right-wing,” that attests to their ignorance, not to the accuracy of any such bastardization. Even at its most basic level of understanding, it seems to have been forgotten that in Britain there were Tories and Whigs in opposition. Now, Toryism has become so detached from its origins that there is indeed no distinction between British Conservativism, in the parliamentary sense at least, and Whig-liberalism. The same can be said for much of what is called often called “Right” across the world, but especially in the Anglophone states whose philosophy has been dominated by utilitarianism.

henrikdeman-233x300.jpgThe “Right” has a rich but obscured legacy that revolts against capitalism. The “Right” is restorative, and arises when a culture-organism begins to decay. The works of Thomas Carlyle, an essay, Chartism (1840), and the book Past & Present (1843) could be the ideological basis of a true British Right, in which Carlyle condemns free trade from a conservative position. In these, he considered the supposed panacea of universal franchise and decried the debased state of the Aristocracy, which should be replaced with an “aristocracy of merit.” Carlyle stated that free trade would be a harbinger of “social revolution.” (When Karl Marx later said the same, he meant it, contrary to Carlyle, in a positive sense.) Carlyle condemned “Mammon,” materialism, and the “money nexus” of the bourgeoisie, and stated that the problems of the British were fundamentally spiritual and moral, from whence a repudiation of the money-ethos that dominated Britain should proceed. Carlyle did not write in the same stream as the British utilitarian philosophers from whom liberalism arose. He wrote in a more Occidental sense in repudiating the trade and commercial mentality that had long pervaded British thinking, politics, and foreign policy; bourgeois and Whig, as Spengler and Werner Sombart pointed out. Yockey classified Carlyle among the few British philosophers writing from an “organic” perspective of history.

Marx, so far from repudiating that mentality, was intellectually in thrall to it, as Sombart and Spengler explained, and this identity of Marxism with British utilitarian and materialist philosophy resulted in a crisis of the Left during the close of the 19th century when socialist thinkers realized the inadequacy of Marx in truly rejecting capitalism and the bourgeois spirit.

Carlyle set the tone of his condemnation of capitalist Britain with the opening paragraph of Past & Present in a far more eloquent sense than that of Marx; although the Whigs masquerading as “conservatives” then and now regard such words as rabid socialism:

The condition of England, on which many pamphlets are now in the course of publication, and many thoughts unpublished are going on in every reflective head, is justly regarded as one of the most ominous, and withal one of the strangest, ever seen in this world. England is full of wealth, of multifarious produce, supply for human want in every kind; yet England is dying of inanition. With unabated bounty the land of England blooms and grows; waving with yellow harvests; thick-studded with workshops, industrial implements, with fifteen millions of workers, understood to be the strongest, the cunningest and the willingest our Earth ever had; these men are here; the work they have done, the fruit they have realized is here, abundant, exuberant on every hand of us: and behold, some baleful fiat as of Enchantment has gone forth, saying, “Touch it not, ye workers, ye master-workers, ye master-idlers; none of you can touch it, no man of you shall be the better for it; this is enchanted fruit!” On the poor workers such fiat falls first, in its rudest shape; but on the rich masterworkers too it falls; neither can the rich master-idlers, nor any richest or highest man escape, but all are like to be brought low with it, and made “poor” enough, in the money-sense or a far fataller one. [1] [1]

P1030768.jpgPreviously, in his essay Chartism, Carlyle had appealed not to class war but to class unity among fellow Britons, high-born and low, pointing out that the ruling classes did not even realize there was a problem to be solved, much to their own danger:

How an Aristocracy, in these present times and circumstances, could, if never so well disposed, set about governing the Under Class? What they should do; endeavor or attempt to do? That is even the question of questions: — the question which they have to solve; which it is our utmost function at present to tell them, lies there for solving, and must and will be solved.

Insoluble we cannot fancy it. One select class Society has furnished with wealth, intelligence, leisure, means outward and inward for governing; another huge class, furnished by Society with none of those things, declares that it must be governed: Negative stands fronting Positive; if Negative and Positive cannot unite, — it will be worse for both! Let the faculty and earnest constant effort of England combine round this matter; let it once be recognized as a vital matter. Innumerable things our Upper Classes and Lawgivers might ‘do;’ but the preliminary of all things, we must repeat, is to know that a thing must need be done.

Alas, in regard to so very many things. Laissez-faire ought partly to endeavor to cease! But in regard to poor Sanspotatoe [Irish] peasants, Trades-Union craftsmen. Chartist cotton-spinners, the time has come when it must either cease or a worse thing straightway begin, — a thing of tinder-boxes, vitriol-bottles, second-hand pistols, a visibly insupportable thing in the eyes of all. [2] [2]

In the early 20th century, Anthony Ludovici and others attempted to return the Tory Party to its origins, and his works, like those of Carlyle, remain as timeless foundations on which the Anglophone Right can return to its actual premises. The U.S. Right has its foundation in Federalism, the Hamiltonian concept of North American as a people-nation-state — as Yockey recognized — but often insists on looking to its opposite, the Jeffersonian-style Jacobinism that was enthralled by the French Revolution and would have thwarted the American states from ever becoming a nation.

Occidental Synthesis

The German economist Friedrich List, in contrast to the British philosophers, was condemning free trade from a conservative position at around the same time as Carlyle. He espoused autarchy, which he called the “national system.” This was anathema to Marx, who saw such ideologies as antithetical to the dialectical march toward communism.

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List critiqued free trade precisely on the grounds that Marx praised it; for its materialism, class divisiveness, and national dissolution. List wrote in his magnum opus:

The system of the school suffers, as we have already shown in the preceding chapters, from three main defects: firstly, from boundless cosmopolitanism, which neither recognizes the principle of nationality, nor takes into consideration the satisfaction of its interests; secondly, from a dead materialism, which everywhere regards chiefly the mere exchangeable value of things without taking into consideration the mental and political, the present and the future interests, and the productive powers of the nation; thirdly, from a disorganizing particularism and individualism, which, ignoring the nature and character of social labor and the operation of the union of powers in their higher consequences, considers private industry only as it would develop itself under a state of free interchange with society (i.e. with the whole human race) were that race not divided into separate national societies.

Between each individual and entire humanity, however, stands THE NATION, with its special language and literature, with its peculiar origin and history, with its special manners and customs, laws and institutions, with the claims of all these for existence, independence, perfection, and continuance for the future, and with its separate territory; a society which, united by a thousand ties of mind and of interests, combines itself into one independent whole, which recognizes the law of right for and within itself, and in its united character is still opposed to other societies of a similar kind in their national liberty, and consequently can only under the existing conditions of the world maintain self-existence and independence by its own power and resources. As the individual chiefly obtains by means of the nation and in the national mental culture, power of production, security, and prosperity, so is the civilization of the human race only conceivable and possible by means of the civilization and development of the individual nations. [3] [4]

This is the actual legacy of the Right. Not Locke, Mill, Spencer, Hobbes, van Mises, Hayek, or Rand.

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But such was the paradigm shift in politics during the Cold War, with disaffected Marxists entering en masse the ranks of the Cold Warriors against the USSR, that by the time the eminent American scholar Christopher Lasch had rejected neo-Marxism he could not find “genuine conservativism” in the USA. He could only find advocates of free trade, which he considered as destructive to tradition and the organic community as the Left. [4] [5]

What Lasch perceived in the early 1970s Oswald Spengler had seen in the aftermath of World War I: that the “scientific socialism” of Marx et al did not transcend capitalism, but reflected it, because both arose within the same Zeitgeist of British materialism and industrialism. [5] [6] As Lasch saw decades later, capitalism shares with the Left a common outlook against the traditional social order, which is the organic community. Carlyle had perceived this in 1840. After World War I, Spengler spoke of “Prussian Socialism,” and Otto Strasser of “German Socialism,” based on pre-capitalist German — and wider European — ethos. To Strasser, “socialism” is synonymous with “conservativism” because it harkens back to the pre-capitalist organic community. Marxism is within the same historical stream as liberalism, Marxism being “a doctrine whose liberal factors necessarily unfit it for the upbuilding of the socialist (i.e. conservative) future, and one whose program cannot but involve it in the decline of liberalism.” As Spengler had stated, Strasser reiterated that “this was simply due to the fact that the longing for socialism began to find expression at a time when the ego idea, liberalism, that is to say, was in the ascendant.” [6] [7]

The fundamental premise of the Right is the dichotomy described by German sociology, of Gemeinschaft versus Gesellschaft; the traditional organic community, or the “modern” doctrine of society as a contract between individuals for their material benefit. Sombart came to regard Marxism as rooted in the latter along with liberalism, as its only goal is to unite individuals for selfish material gain in the name of the proletariat, as liberalism does in the name of the bourgeoisie, which he regarded as the abysmal gulf between British bourgeois philosophy (including Marx) and that of the German (including Carlyle), which he delineated as a difference between the heroic spirit and the commercial or trader’s spirit. [7] [8]

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May 1940, de Man with Queen Elizabeth.

Corradini, head of the Italian Nationalist Association, stated at its first congress in 1910, nine years prior to the founding of Mussolini’s fascio, that Italy is a “proletarian nation,” and that “socialism” so far from serving the interests of the “proletarian nations” creates with its internationalism and class struggle a civil war within the social organism. [8] [9] Nine years later, at the Nationalist convention in Rome, Corradini described syndicalism as the means by which the organic social community (Gemeinschaft) can be established; creating “real collaboration, organic, unifying, and complete.” [9] [10]

When a synthesis began to arise from the late 19th century between the elements of the Right and Left, this was a process of the Left turning Right, while elements of the Right were returning to their actual — pre-capitalist — origins. The synthesis became the major “third force” in the world competing against communism and capitalism, and drawing many of the Left’s best thinkers who had already been realizing the limitations of “scientific socialism.”

Even if we consider the terms Left and Right at their most basic level — the seating arrangements of the French Assembly — it might seem odd today, when ideological terms have become obfuscated and origins forgotten, that those on the Right represented the maintenance of tradition, representing the monarchical and Catholic regime that retained a few vestiges of the traditional epoch; those on the Left stood for a bourgeois new order of laissez-faire trade. This bourgeois revolution is a primary part of the Left’s legacy, being considered as a necessary element of the dialectical process of what Marx called the “wheel of history.” [10] [11] It should be kept in mind that Marx, according to this dialectical outlook, stated that socialism could not proceed until capitalism and the bourgeoisie had replaced the vestiges of the traditional order, causing the ruination of peasants, artisans, burghers, and aristocrats. These ideas are expressed most clearly in The Communist Manifesto.

Advocacy of a return to the pre-capitalist order was vehemently denounced by Marx as “reactionism.” [11] [12] To the Rightist this is not regressive, but restorative, as the Right states that there are fundamentals that are timeless, and one might say emanating from an axis; while the “progress” of liberalism and “scientific socialism” is destructive fallacy. [12] [13] Hence, the Right is literally a conservative revolution insofar as “revolution” implies a return to origins. It also means that the liberal-capitalist order requires a complete overturn to restore those origins.

Role of the Bourgeoisie

The French Revolution of 1789 was pivotal and its impact has only increased over the world. From the French Revolution arose both liberal capitalism and the Left. The Revolution abolished the vestiges of the Medieval guilds in France under the Chapelier Law of 1791. These forefathers of “scientific socialism” enacted the free market, standards of production markedly declined, and there was widespread dissatisfaction with such “liberty.” Such was the concern at this destruction of the guilds that the National Assembly in 1795 reiterated they would not be revived, and the prohibition became Article 355 of the Constitution, which meant that a constitutional amendment would be required to reverse the law. In Revolutionary France, the guild era was recalled as one of happiness and plenty. No longer with stability, fraternity (despite the ironic slogan of the Revolution: “Liberty, Equality, Fraternity”), and a higher purpose that the guilds had offered, worker unrest was widespread. The supposed peoples’ representatives expressed concern at mounting worker “insubordination.” There was prolonged debate on the reconstitution of the guilds under Napoleon Bonaparte, but ultimately the laissez-faire radicals won. [13] [14] What replaced the organic community, however debased it had become by that time, was “civil society,” and the “social contract” between individuals, or what the Declaration on the Rights of Man & of the Citizen referred to as the “general will,” enforceable in the name of freedom by death. Joseph de Maistre criticized the Enlightenment notion that a nation could be built on such legalistic artifices that fail to reflect the spirit of a nationality. Of written constitutions as nation-building instruments, he wrote:

There never has existed a free nation which had not, in its natural constitution, germs of liberty as old as itself; and no nation has ever successfully attempted to develop, by its fundamental written laws, other rights than those which existed in its natural constitution. . . . No assembly of men can give existence to a nation. An attempt of this kind ought even to be ranked among the most memorable acts of folly exceeding in folly what all the Bedlams of the world might produce most absurd and extravagant. [14] [15]

Again, with de Maistre, the contrast is between the society that is organic and that which is contractual. Today, “civil society” is regarded as the desirable norm for the entire world.

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Crisis of the Left

There were Leftists who regarded the Marxist and other such forms of socialism as inadequate and historical analyses based on nothing more than economic relations as insufficient. Leftist thinkers, Sombart being notable among these, began to see “scientific socialism” — as Marx called it — as an appropriation of the bourgeois capitalist spirit for the proletariat rather than as a transcendence. World War I was the catalyst for the eruption of a discontent that had been growing within the Left. The war had proved that the patria readily transcended class conflict; that as Corradini had stated, the national struggle supplants sectionalism whether of the liberal-bourgeois or “socialist” varieties.

Professor Alfredo Rocco, Italian Minister of Justice (1925-1932), the primary architect of the future corporatist state, began politically as a socialist before joining Corradini’s Nationalist Association. He saw the strengthening of the proletariat as necessary for social cohesion. In his 1920 address to the University of Padua, inaugurating the academic year, he referred to history as one of organic social cycles of birth and decay. Within this, he develops the concept of “unceasing struggle” within every “social body” “between the principle of organization represented by the state and the principle of disintegration, represented by individuals and groups, which tend to disrupt it and lead to its decline and fall.” While the concept is Spenglerian, Rocco was drawing on the Italian philosopher Giovanni Battista Vico, who preempted Spengler by about 180 years — and here we have in Vico another forgotten philosopher of the Right.

211400.jpgRocco traced the disintegrative impact of liberalism and the role of the bourgeoisie in undermining the social organism — “an amorphous and disorganized mass” in an “individualistic reaction.” The doctrine was provided by the Salon intelligentsia espousing an imaginary “natural law” and by the Encyclopaedists, “and it came to a head politically in the explosion of the French Revolution.” Faced with the reality of governing and of foreign wars, the French revolutionary regime soon had to reimpose the authority of the state, culminating in the genius of Napoleon. Following this epoch there arose again bourgeois liberalism with its atomistic “liberty.” Rocco cogently defines the liberal regime in describing the situation that arose from the tumults of the 19th century:

[ind]From that time onwards, the claims of individualism knew no bounds. The masses of individuals wanted to govern the state and govern it in accordance with their own individual interests. The state, a living organism with a continuous existence over the centuries that extends beyond successive generations and as such the guardian of the imminent historical interests of the species, was turned into a monopoly to serve the individual interests of each separate generation. [15] [16]

To restore the social organism against the atomization of liberalism, Rocco urged the integration of the syndicates, or corporations as they were known in Italy since Classical Rome, as integral organs of the social body. Rocco pointed out that liberalism in the name of individual liberty had “destroyed those ancient and venerable organizations, the guilds and corporations of arts and crafts,” which were decreed as abolished on the night of August 4th, 1789 by the French National Assembly, and in the subsequent law of August 14th — 17th 1791. In Italy, the ban was soon lifted, but the corporations did not regain their standing. “Yet professional organization or syndicalism, as it is normally known, or corporatism, to use the more traditional Italian word, is a natural and irrepressible phenomenon to be found in every age. It existed in Greece as well as in Rome, and in the Middle Ages as in modern times.” The disjunction and indeed animosity that had emerged between artisan and owner under modern capitalism could be reconciled within corporatism.

Many Leftists, just as much within the victor states as the defeated, saw the war as a “defeat of socialism.” Lanzillo, a syndicalist on the staff of Mussolini’s socialist newspaper Popolo d’Italia from 1914, wrote in his book The Defeat of Socialism that contrary to socialist expectations, the proletariat of every nation eagerly fought for their national, not international, class interests. “Socialism based its arguments on the dialectical opposition of interests within individual countries, and war showed the possibility of reconciling those interests in the will to defend by force of arms a common heritage and common ideals.” [16] [17] This echoes Sombart’s 1915 work; although Sombart insisted that the “spirit” was uniquely “German,” after the war, it became universal among those who yearned for something more than a return to the decaying pre-war order.

Hendrik de Man and Socialism 

Hendrik de Man, leader of the Belgian Workers Party, went so far as to initially cooperate with the German occupation during World War II, seeing it as a blow at the bourgeois spirit of the prior century. Despite this, de Man is still regarded as an important theorist of socialism. His “neosocialism,” also known as “planism,” [17] [19] is a significant ideological development among the Francophone Left. De Man was among the leading Socialists of Europe, having worked with Rosa Luxemburg [20], Karl Liebnecht, Karl Kautsky, and Leon Trotsky [21]. After service in World War I he visited the Soviet Union, lived in Washington, and worked as a professor of economics at the University of Frankfurt.

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Marxism, de Man stated, reduces man “to the level of a mere object among the objects of his environment, and these external historical ‘relationships’ are held to determine his volitions and to decide his objectives.” Like many socialists who rejected Marx, World War I was a seminal event for de Man. He wrote in The Psychology of Marxian Socialism:

The war, in which I participated as a Belgian volunteer, shook my Marxist faith to its foundations. It is war-time experience which entitles me to say that my book has been written with blood, though I cannot myself be certain that I have been able to transform that blood into spirit. The conflict of motives whose upshot was that I, an ardent antimilitarist and internationalist, felt it my duty to take up arms against Germany; my disillusionment at the collapse of the International; the daily demonstration of the instinctive nature of mass impulses thanks to which even socialist members of the working class had their minds poisoned with the virus of nationalist hatred; my growing estrangement from most of my sometime Marxist associates, who went over to the bolshevik camp — thanks to all these influences conjoined, I was racked with doubts and scruples whose echoes will be heard in this book. [18] [22]

After the First World War, he withdrew from politics for several years to reflect on his thoughts and life. He conceded that what was required was not merely to “revise” or “adapt” Marxism, but to liquidate it. [19] [23]

In France, Socialist Party leader Marcel Déat, whose “neosocialism” was significantly influenced by de Man, anarcho-syndicalist Georges Valois, and Communist Party eminence Jacques Doriot came to such conclusions. The “British Fascism” of Sir Oswald Mosley had its programmatic origins in his days as a Labour Minister, and the fundamentals remained. Of this post-war situation for socialists, de Man stated:

It is not surprising that socialism is in the throes of a spiritual crisis. The world war has led to so many social and political transformations that all parties and all ideological movements have had to undergo modification in one direction or another, in order to adapt themselves to the new situation. Such changes cannot be effected without internal frictions; they are always attended by growing pains; they denote a doctrinal crisis. [20] [24]

cms_visual_1073992.jpg_1535106009000_293x450.jpgMarxism remained “rooted in the philosophical theories that were dominant during the middle decades of the nineteenth century, theories which may provisionally be summarised in the catchwords determinism, causal mechanism, historicism, rationalism, and economic hedonism.” [21] [25] So far from the bourgeoisie being increasingly proletarianized due to the crisis of capitalism, as Marx had predicted in The Communist Manifesto, de Man saw that “the working class is tending to accept bourgeois standards and to adopt a bourgeois culture.” [22] [26] “In the last analysis, the reason why the bourgeoisie is the upper class to-day, is that everyone would like to be a bourgeois.” [23] [27] Today more than ever it is apparent that the historical dialectic has not unfolded in the manner Marx predicted. The “cult of the masses” was an invention of bourgeois intellectuals including Marx, who were remote from the masses; [24] [28] a “relapse into the naivety of the outworn primitive democratic adoration of the crowd.” [25] [29]

In comparing the pre-capitalist guild era of the Medieval epoch with the capitalist era of production, de Man pointed out that

The essence of the charge brought by Marxism against capitalism is that the capitalist method of production has divorced the producers from the means of production. In actual fact, capitalism has done something much more serious; it has divorced the producer from production, the worker from the work. In this way, it has engendered a distaste for work which is often increased rather than diminished by an improvement in the material circumstances of life, and cannot be cured by any mere change in property relationships.

Especially conspicuous is the contrast between the industrial worker of to-day and the Medieval artisan as a guildsman. The handicraftsman of the Middle Ages might or might not be the owner of his house, his workshop, or his booth; his position might be a good one, financially speaking, or the reverse. But at least he was master of his own work. . .

The craftsman of the Middle Ages took delight in his work; he lived in his work; for him, his work was a means of self-expression. [26] [30]

De Man dealt directly with the workers, and often through his own lack of understanding was taught many lessons on the workers’ ethos that would be regarded as “reactionism” (as Marx puts it in The Communist Manifesto) by those on the Left too imbued with the bourgeois outlook to understand. At one such point, de Man alludes to the personal attachment tradesmen have to their own old toolboxes, an ethos that goes beyond the comprehension of Marxist doctrine (and an attitude that one can still observe among tradesmen and apprentices). [27] [31] He stated that Marxist theories about working-class solidarity lacked an ethos, and were mechanistic. They sought to build something merely on the basis of modes of production. This is the “economic man,” the “hedonist” and “egoist.” [28] [32] It is the same spirit of the merchant referred to by Sombart. The desire for solidarity was born not from this bourgeois outlook, but from the instinct that had existed during the Medieval era; of Christian ethos; that of “craft fraternity” defended by the guilds. [29] [33] Socialism, said de Man, should aim to revive a social ethos that was instinctive [organic], not mechanistic. [30] [34] He alluded to two postulants that serve as an ethical basis for this “new socialism”: “1. Vital values are higher than material values; and of vital values, spiritual values are the highest. 2. The motives of community sentiment are higher than the motives of personal power and personal acquisition.” [31] [35] Again, Sombart had said the same in his wartime appeal.

51zxhJ8I5JL._SX324_BO1,204,203,200_.jpgAn additional factor in the fallacy of Marxism was that especially since the First World War the proletariat had become more national and less international. [32] [36] Machinery and modes of production might indeed be international and what is today called globalization shows that capital is an internationalizing tendency, as Marx approvingly predicted. But people are more than their modes of production. [33] [37]

De Man saw the socialist movement as intrinsically national and the proletariat as more than a globule of putty to be molded for the purposes of production, whether by liberalism or Marxism:

The French revolution, which was the supreme struggle on the continent of Europe for the realization of the political demands of the bourgeoisie, was (so thought the revolutionists) to culminate in a universal rising of the peoples against the despots, and to make the Declaration of the Rights of Man the constitution of the whole human race. The Goddess of Reason, in whose honor the revolution set up its altars, was to become the deity of all mankind. [34] [38]

National sentiment is an integral part of the emotional content of the socialism of each country. It grows in strength in proportion as the lot of the working masses of any country is more closely connected with the lot of that country itself; in proportion too as the masses have won for themselves a larger place in the community of national civilization. At bottom, this partial absorption of socialist sentiment by national sentiment need not surprise us. We have merely to recognize that it is the return of a sentiment to its source. [Emphasis added]. Socialism itself is the product of the interaction between a given moral sentiment and a given social environment. It is not only the social environment which has a national character. The other factor, likewise, the moral sentiment, has primarily, in different peoples, a peculiar tinge, derived from a peculiar national past. [35] [39]

Hence, de Man recognized that socialism and tradition (that is “the Right”) are, so far from being antithetical, intrinsic each to the other.

Hendrik de Man was condemned as a “collaborator” after World War II and settled in exile in Switzerland. Like others condemned “traitors” and “collaborators,” he had remained in his country during the occupation to try and make something positive from the situation. When the German military occupied Belgium in June 1940, de Man issued a manifesto to the Belgian Workers Party stating that “For the working classes and for socialism, this collapse of a decrepit world, far from being a disaster, is a deliverance.” He had been Minister of Public Works (1934-1935) and of Finance (1936-1938). The failure to see his “Plan” implemented is reminiscent of a similar situation faced by Sir Oswald Mosley with his “Mosley Memorandum” to the Labour Government on the unemployment problem. Like Mosley, he saw that plutocracy could only be defeated by strong government action.

o4yw5i7LVt2nWwPOCyhdQLECBbk.jpgWhile other Belgian politicians fled the country and formed a government-in-exile, de Man served as de facto Prime Minister for over a year. In 1941, he co-founded with other trade union leaders the Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels, which was intended as the basis of a corporatist state above party politics. However, German occupation prevented this from becoming a truly effective organization.

De Man soon fell out with the occupation authorities. Although remaining the primary adviser to King Leopold III and the Queen Mother, he left Belgium in 1941 after talks with the Reich failed to reach a satisfactory conclusion for Belgian sovereignty and he was banned by the occupation authorities from public speaking. He first lived in France, then Switzerland until his death in 1953.

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Notes

[1] [43] Thomas Carlyle, Past & Present (1843), Book I: “Proem,” Chapter I: “Midas.”

[2] [44] Thomas Carlyle, Chartism (1840), Chapter VII: “Not Laissez-Faire.”

[3] [45] Friedrich List, The National System of Political Economy (1841), Chapter XV: “Nationality and the Economy of the Nation.”

[4] [46] Christopher Lasch, “What’s Wrong with the Right? [47]Tikkun, No. 1, 1987.

[5] [48] Spengler in The Decline of the West, The Hour of Decision, and Prussianism and Socialism. See for the latter Spengler: Prussianism Socialism and Other Essays (London: Black House Publishing, 2018).

[6] [49] Otto Strasser, Germany Tomorrow (London: Jonathan Cape, 1940), Part III: “The Structure of German Socialism” (4) Marxism, 126.

[7] [50] Werner Sombart, Händler und Helden (Merchants and Heroes, 1915). It seems likely that Spengler was influenced by this book, and Yockey, whether directly or via Spengler. But not all Germans have the “heroic spirit,” and not all British that of the “trader.” In this dichotomy, Marx reflected the “British,” Carlyle the “German”; insofar as each state represented a rival Zeitgeist which conflicted in two world wars. It seems reasonable to conclude that the “trader” spirit, in defeating the “heroic,” was taken over from Britain by the USA after World War II.

[8] [51] Enrico Corradini, The Principles of Nationalism, Report to the First Nationalist Congress, Florence, December 3, 1910.

[9] [52] Corradini, Nationalism and the Syndicates, Rome, March 16, 1919.

[10] [53] Marx’s “wheel of history,” so far from being in the traditional sense, where a culture revolves metaphorically on an axis, in the Evolian sense, proceeds in a straight line called “progress,” until falling into the abyss.

[11] [54] Karl Marx, The Communist Manifesto (1848), “Bourgeois and Proletarians.”

[12] [55] Evola referred to the axial basis of civilization in Revolt Against the Modern World; Yeats rendered the idea poetically in “The Second Coming” (1920).

[13] [56] See Michael P. Fitzsimmons, “The Debate on Guilds under Napoleon,” The Proceedings of the Western Society for French History, Vol. 36, 2008.

[14] [57] Joseph de Maistre, Essay on the Generative Principle of Constitutions (1847), Preface.

[15] [58] Alfredo Rocco, The Syndicates & the Crisis within the State, Padua, November 15, 1920.

[ [43]16] [59] Agostino Lanzillo, The Defeat of Socialism (Rome, 1918), Preface.

[17] [60] Named after H. de Man’s “Labor Plan” of 1933 to deal with unemployment.

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[18] [61] Hendrik de Man, The Psychology of Marxian Socialism (New Brunswick, New Jersey: Transaction Books, 1988 (1928)), 12.

[19] [62] Ibid., 14.

[20] [63] Ibid., 19.

[21] [64] Ibid., 23.

[22] [65] Ibid., 25.

[23] [66] Ibid., 103.

[24] [67] Ibid., 35.

[25] [68] Ibid., 36.

[26] [69] Ibid., 65-67.

[27] [70] Ibid., 75.

[28] [71] Ibid., 127.

[29] [72] Ibid.

[30] [73] Ibid., 131.

[31] [74] Ibid., 189.

[32] [75] Ibid., 303.

[33] [76] Ibid., 313.

[34] [77] Ibid., 321. This cult of the Goddess of Reason was intended as a literal civic religion in Jacobin France to replace Catholicism.

[35] [78] Ibid., 325-326.

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[20] Rosa Luxemburg: https://www.encyclopedia.com/people/history/german-history-biographies/rosa-luxemburg

[21] Leon Trotsky: https://www.encyclopedia.com/people/history/russian-soviet-and-cis-history-biographies/leon-trotsky

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[47] What’s Wrong with the Right?: https://web.archive.org/web/20040317084407/http://thor.clark.edu/sengland/previous%20features/a_dialogue_with_christopher_lasc.htm

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mercredi, 07 octobre 2020

Michel Maffesoli : La Nostalgie du sacré (conférence)

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Michel Maffesoli :

La Nostalgie du sacré (conférence)

 
 
Le 21 septembre 2020, le Cercle Aristote avait l'honneur de recevoir Michel Maffesoli pour une conférence autout de son dernier ouvrage "La Nostalgie du passé" paru aux éditions du cerf.
 
 
2020-04-maffesoli-nostalgie-du-sacre-5-5ec4edea1b69f.jpgPour aller plus loin :
➡️l'ouvrage de note invité : https://www.editionsducerf.fr/librair...
➡️ ABONNE-TOI CAMARADE
 

samedi, 03 octobre 2020

Por un Bloque nacional-popular.

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Por un Bloque nacional-popular.

Carlos X. Blanco.

Apuntes de un aprendiz de Diego Fusaro.

La lucha de clases no ha concluido. El sistema neoliberal turbocapitalista nos quiere convencer del fin de la historia, esto es, del fin de la guerra de clases, desde 1989. Pero no se sostiene tal mentira. Como ha escrito una y mil veces Diego Fusaro, la guerra de clases ha mutado en “masacre de clases”. El mundo experimenta hoy una gestión unipolar de la lucha clasista, una gestión desde arriba, desde el polo dominante. Una clase dominante sumamente reducida en términos demográficos, pero omnímoda, gestiona la corriente general de la Historia, cual es la lucha entre dominantes y dominados. No se puede paralizar la lucha clasista mientras el modo de producción dominante sea el capitalismo, pero lo que sí ha terminado por ocurrir es que esta lucha se gestiona ahora por parte de la clase ultracapitalista en su beneficio.

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En el fondo, es la misma lógica neoliberal a la que ya se nos viene acostumbrando. No se puede acabar con el terrorismo mahometano, pues bien, “convivamos con ello”. No se puede acabar con la pandemia del coronavirus, “aprendamos a vivir con ello” e incluso, “acostumbrémonos a la Nueva Normalidad, pues van a venir nuevas olas y nuevas pandemias”. El mundo del riesgo y de la crisis es el fatum al que “hay que adaptarse” como si el riesgo y la crisis fueran realidades naturales, ciegas, involuntarias y sin culpables,

Pero la gestión de la masacre de clases, como Fusaro explica muy bien, ya nos salpica a la cara a una gran masa de los dominados. Nunca estuvieron tan juntos, compartiendo el destino en un Titanic planetario, la clase media y la clase trabajadora. Nunca hubo un asalto tan violento y decidido a las clases productivas de la sociedad, sustento de los estados-nación, columna vertebral de la comunidad. El polo dominante, que ya no es la clásica y marxiana “burguesía”, está formado por un “Señor” (en lenguaje más hegeliano). El “Señor” es señor del dinero y amo neo-esclavista, en parte. El “Señor” ha ido adquiriendo hegemonía absoluta, reclutando de entre las clases medias y capitalistas el consenso necesario para tener de su parte el circo mediático, el control de la educación, las élites empresariales y funcionariales, etc., pero toda esta gente lacayuna no son el “Señor” en sí mismo. Sus propios privilegios peligran ante la omnímoda realidad del poder “Señor” en el sentido fusariano que, cual agujero negro, acabará tragándoselos a todos.

714AZ1ZMRGL.jpgOmnímoda porque la economía productiva y la explotación del trabajador sólo son una parte vivificante de su propia dinámica especulativa. Hace ya tiempo que se ha desconectado la economía especulativa de la economía productiva, y al desconectarse, las plusvalías obtenidas de la explotación directa del trabajador no constituyen ningún “reloj” o indicador regulativo del ritmo especulador de acumulación de beneficios. El poder omnímodo del “Señor”, se asemeja a un polo o, quizá mejor, a un agujero negro: hacia allí converge toda materia y toda energía. El agujero la devora de manera insaciable, y, además, cuanto más devora, más rápida y extensamente se traga la materia y la energía restante, potencial, hasta llegar a caer por ese sumidero la totalidad del cosmos. Así, el “Señor” en el sentido fusariano se tragará al empresario mismo, lo rebajará a la categoría de plebe parasitaria junto con las demás clases. El filósofo italiano a quien sigo aquí, muestra con claridad la idea ya contenida in nuce en el marxismo: el capitalismo cava su propia tumba, se convierte en un turbocapitalismo, se impone un ultra-liberalismo que mina las propias bases genéticas de su existencia. No obstante, falla en el clásico esquema del marxismo el otro “polo”, para que ese socavamiento tenga lugar: el proletariado.

El proletariado, más que liquidarse, se ha “licuado”, retirándose de la arena combativa, ingresando en una amplia masa pauperizada junto con el aluvión de las clases medias arruinadas. Ese antiguo proletariado y las clases medias proletarizadas conforman lo que Fusaro denomina “precariado”. En un contexto mundial de vida bajo riesgo permanente y gobernanza por medio de la crisis, el precariado carece de representatividad política en la izquierda, y asiste atónito a unos discursos “progresistas” que no van con él. Los líderes de la izquierda ya no invocan al proletariado, porque saben que no existe.. funcionalmente hablando. Pero, por el contrario, hablan como “almas hermosas” que se duelen de los desheredados del mundo. Precisan yacimientos de caridad (refugiados, trans, mujeres sin empoderar, animales con derechos humanos). A su lado –no obstante- hay un pueblo que gime por las nuevas formas de explotación laboral (falsos autónomos, teletrabajo, deslocación…) pero los líderes de la izquierda van tornándose más y más glamurosos en su carrera loca por ser “almas hermosas”. Ya no se distingue apenas el discurso del Papa Francisco y el de los “filósofos” de Podemos y su galaxia cercana (Santiago Alba, Fernández Liria…). Desde su pureza inmaculada de almas hermosas, desde su cátara condición condenan cualquier avance del nuevo Saurón, que ellos suelen llamar fascismo, aunque no ven fascismo en la OTAN, en las go-gos de Obama o Soros, en el bombardeo de Serbia, en las mafias africanizadoras que trafican con gente. Hay que condolerse de la etnia más ignota, promover el veganismo, condenar a los causantes del cambio climático o llamar terroristas a los violentos en el ámbito doméstico, promover la neolingua “inclusiva” o pintar los bancos de la plaza con los colores de arco iris… pero de lo explotada y muy vapuleada que está la clase media y la clase trabajadora, raza vez se acuerdan.

31CLW7ijpAL.jpgRecargar de energía el polo del “Siervo” frente al polo del “Señor” consiste en volver a iluminar un espacio de lucha, llevar la guerra de clases al primer término de la geopolítica mundial y del interés nacional. Dotar de armas, empezando por las armas críticas, al polo de los “Siervos” consiste, en primer lugar, en desenmascarar a toda esa izquierda glamurosa de “almas bellas” que lloran como cocodrilos o damiselas hipersensibles antes los males oficiales que los “trending topics” de sus sagradas cuentas de Twitter marcan como Males malísimos.

Es un mal oficial de las “tendencias” que millones de africanos salgan de sus países empujados por unas abstractas y nunca analizadas guerras, persecuciones, sequías y neocolonialismos, pero nunca será un mal oficial que existan pandemias de violaciones, robos, altercados o se acumulen “MENAS” bien creciditos y poco amigables para con el barrio. El polo del “Siervo” se apartó ya de esa izquierda glamurosa, de caviar y chalet, de poltrona universitaria y currículum hinchado en forma de burbuja, sin sustancia ni saber. El polo del “Siervo” se acerca al peligroso “populismo” que, cuanto más condenado resulta, más próximo se halla al bando nacional-popular: un Estado que vela por la justicia social, que defiende al débil, que protege a la propiedad (especialmente a la pequeña propiedad, que es la más débil también), que trabaja por la estabilidad del empleo y la garantía en el ahorro, por las pensiones, la educación rigurosa y de calidad, la asistencia sanitaria gratuita y avanzada).

Fusaro reconoce con exactitud las condiciones objetivas en las que se puede reactivar un polo del “Siervo” que pueda dar dolores de cabeza al “Señor”. La defensa de ese ya añorado “Estado del Bienestar”, la intervención estatal en aquellos sectores de la economía directamente implicados con la igualdad de oportunidades, la redistribución de la riqueza, la soberanía nacional. También, hemos de contar con la formación de una nueva clase contra-hegemónica, una super-clase opositora a los depredadores “Señores” del dinero, en la que figuran no sólo los sindicatos verdaderamente combativos, las agrupaciones vecinales, comités de autodefensa de los pueblos y barrios, hogares sociales solidarios, círculos parroquiales, asociaciones de damnificados…sino los propios empresarios. La propia empresa “patriótica” sabe lo que significa para ella la cantinela de la globalización: su ruina, su desaparición. Por pura supervivencia, los sectores productivos, los autónomos, las pymes, deben reaccionar para poder seguir inyectando savia a la sociedad, para vivir de una forma no-dependiente.

imagesDFchisiamo.jpgLa conversión del “Estado del Bienestar” en un supuesto “Estado Asistencial” responde a la lógica malévola del “Señor”. Los señores mundialistas del dinero, en su despiadada avaricia, no dudan en convertir a capas cada vez más amplias de la sociedad en “dependientes”. Gente sana y fuerte, cerebros bien preparados y dispuestos, manos libres y aptas para ganarse la vida, todos, son reducidos a la peor condición posible: plebe, masa sostenida por un ingreso mínimo social facilitado por el Estado. El Estado se despoja de su cometido ético, garantizar a los ciudadanos el Bien Común, y se disfraza de Buen Samaritano. Pero no es la generosidad la que le mueve a distribuir ayudas, sino su lacayuna naturaleza de Siervo subsidiario del verdadero Señor globocrático. La universalización del rentista (peligro que siempre anida en un comunismo mal entendido) se traduce, en la práctica, en la universalización del mendigo. El Estado asistencial, lacayo de los Señores mundiales de la especulación, cumple con la sucia labor de gestionar la “masacre de clases”. Los Señores liquidan a los productores (clase obrera, campesina, clase media) y a los restos y despojos hay que suministrarles un “mínimo vital” para que el caos, los saqueos, la guerra urbana, etc. no se apoderen de las calles y no se adelante la catástrofe, que, de todas las maneras, es inevitable a medio plazo.

Gestionar la miseria, reprimir selectivamente, adoctrinar y censurar, exterminar a la sociedad civil antes de que el propio Estado se extinga, esas son las funciones asignadas a esta institución, médula y cerebro de un Pueblo en otros tiempos: el Estado-nación. En la actualidad el Estado-nación no es sencillamente “un comité de empleados al servicio del Capital” (Marx). En la actualidad es, más bien, un instrumento del “Señor” apátrida, trasnacional, mundialista, instrumento que se va auto-liquidando por haberse plegado a los intereses de los fondos especulativos globócratas que constituyen el verdadero “Señor”. Potencialmente, el Estado-nación podría ser un baluarte para la defensa de los pueblos ante las acometidas neoliberales, pero ya no lo es. Cuando intenta serlo, ese Estado nacional-popular queda encuadrado dentro de un “Eje del mal”, calificado como “Estado canalla” y sometido a todo género de presiones.

La emancipación de los pueblos pasa por a) recuperar para sí al Estado-nacional, reapropiarse del instrumento, arrebatárselo de las manos del “Señor” globócrata, lo que se da en llamar soberanismo, b) crear un nuevo bloque contra-hegemónico, esto es, una alianza de clases actualmente perdedoras, entre las que figuran los restos del proletariado urbano-industrial, el campesinado, los jóvenes “sin estrenar” en el mercado laboral, los autónomos y pequeños y medianos empresarios y hasta el empresariado grande pero no deslocalizado, comprometido aún con la productividad in situ. Finalmente, c) esa nueva alianza de clases que crea una nueva hegemonía rival y dialécticamente enfrentada a la hegemonía globalista, deberá emprender nuevas alianzas y alineamientos geoestraégicos en la arena mundial, pues ya ningún Estado nacional-popular puede resistir por sí solo a los manejos y enredos de la Globocracia.

En la línea más gramsciana, Fusaro destaca en papel de los intelectuales. Frente a los actuales intelectuales orgánicos, que recogen las migas del festín globalista y hacen de perritos falderos del “Señor”, con nula creatividad y cacumen, debería darse una gran alianza de nuevos intelectuales que, saliendo de su actual marginalidad, posean la visión orgánica, esto es, la visión de la totalidad y actúen en conformidad con los nuevos bloques contra-hegemónicos que las clases masacradas tendrán que constituir para sobrevivir. Los intelectuales en el sentido orgánico deben volver a erizar y afilar sus armas con vistas a arrinconar al “Señor” y a sus pretensiones omnímodas. La lucha de clases siempre existe, pero frente al Capital globalista, se hace preciso volver a polarizar el campo. De manera análoga a como en la Geopolítica, la multipolaridad es en sí misma un hecho, y un desafío a la unipolaridad imperialista (de la Globocracia que hoy se sirve de los EEUU como guardián y recadero principal), en el seno del Estado-nación, la reactivación de un polo de disidencia vuelve a “cargar” el campo y vuelve a actualizarse el conflicto.

Ese despojo de la izquierda que se llama Podemos en España, sumado al cadáver poco fragante que es Izquierda Unida (arrejuntados con el ridículo nombre de “Unidas Podemos”) no ha sabido ser un verdadero populismo ni ha sido fiel a las tradiciones de lucha nacional-popular. Desde el principio, han sido un obstáculo para una verdadera alianza de clases y para una conformación del bloque contra-hegemónico nacional-popular. Hay que comenzar a soldar ese Bloque ya.

dimanche, 20 septembre 2020

Alexander Dugin: La Contrahegemonía

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La Contrahegemonía

Traducción de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru

1. El gramscismo en las Relaciones Internacionales

Antes de comenzar a hablar de la contrahegemonía, en primer lugar, debemos dirigirnos a Antonio Gramsci, quien introdujo el concepto de hegemonía en el amplio discurso científico de la ciencia política. En sus enseñanzas, Gramsci dice que en el marco de la tradición marxista-leninista, hay tres zonas de dominación: 

  • La dominación económica tradicional para el marxismo, que viene determinada por la propiedad de los medios de producción, que predetermina la esencia del capitalismo. Según Marx, este es el dominio económico en la esfera de la infraestructura.
     
  • La dominación política, que Gramsci asocia con el leninismo y considera como la autonomía relativa de la superestructura en el ámbito de la política. Cuando la voluntad política de determinadas fuerzas proletarias sea capaz de cambiar la situación política, aunque no esté del todo preparada la infraestructura para ello. Gramsci interpreta esto como la autonomía de un determinado segmento de la superestructura. Estamos hablando de poder político, expresado en los partidos, en el Estado, en los atributos clásicos del sistema político.
     
  • La dominación en el tercer sector es la estructura de la superestructura, que Gramsci relaciona con la sociedad civil, al tiempo que enfatiza la figura del intelectual.

Gramsci cree que la hegemonía es el dominio de las actitudes de desigualdad y dominación, pero no en el ámbito de la economía y la política, sino en el ámbito de la cultura, la comunidad intelectual y de los profesionales, el arte y la ciencia. Este tercer sector tiene el mismo grado de autonomía relativa que el leninismo en la política. Una revolución, en este caso, desde el punto de vista de Gramsci, tiene tres vertientes: en la esfera económica (marxismo clásico), en la esfera política (leninismo) y en la esfera de la sociedad civil, que es la esfera de la libertad, y el intelectual puede elegir entre el conformismo y el inconformismo, una elección entre hegemonía y contrahegemonía, entre servir al status quo o elegir una revolución. La elección que hace un intelectual no depende de su posición económica, es decir su relación con la propiedad de los medios de producción, ni con su afiliación política a un partido en particular.

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Gramsci ve el mundo occidental como un mundo de hegemonía establecida, en el que se ha establecido un sistema capitalista en la esfera económica, las fuerzas políticas burguesas dominan la política, los intelectuales sirven a los intereses de las fuerzas políticas burguesas y sirven al capital en un entorno inteligente. Todo esto en su conjunto en las relaciones internacionales crea un cierto contexto, en el centro del cual está el polo de la hegemonía establecida. Gramsci invita a los intelectuales inconformistas y revolucionarios a crear un bloque histórico que se oponga a esta hegemonía. Regresaremos a este punto un poco más tarde, pero ahora consideraremos un aspecto ligeramente diferente del pensamiento gramsciano. Desde el punto de vista de Gramsci, hay situaciones en las que surgen relaciones entre un sistema capitalista desarrollado y aquellas sociedades que aún no están completamente integradas en el núcleo de la hegemonía. Estos tipos modernos de sociedades, en las que la hegemonía no ha ganado por completo, los describe Gramsci como el modelo del cesarismo. Sugiere que, en tales Estados intermedios, la élite política aún no está realmente incluida en el mundo occidental capitalista, donde el capital, la hegemonía y los partidos políticos burgueses representan los intereses de la clase media que establecen la agenda a seguir.

Charles Kapchen, en su libro No Man's World, propone este modelo, que Gramsci denomina cesarismo, desglosado en tres tipos:

  • La autocracia corrupta moderna rusa y otros modelos similares en el espacio postsoviético, que representan la élite de los clanes corruptos.
     
  • El sistema del totalitarismo chino, que conserva el poder totalitario a nivel estatal.
     
  • El sistema de las petromonarquías de Oriente Medio, que incluyen en la estructura de su dominación, en su cesarismo, también aspectos religiosos o dinásticos, como los sultanatos sauditas. Irán puede clasificarse como una forma intermedia, entre el modelo de monarquía del Golfo y la autocracia rusa.

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El cesarismo se encuentra en condiciones muy interesantes: por un lado, se encuntra bajo la presión de una clase media en crecimiento, por otro lado, proviene de un Occidente más desarrollado. La hegemonía desde fuera y desde dentro obliga al cesarismo a hacer concesiones, desoberanizarse, entrar en un proceso global común en aras de la hegemonía global. Desde el punto de vista de Gramsci, el cesarismo no puede simplemente insistir por sí solo, ignorando estos procesos, por lo que sigue el camino que en la ciencia política moderna se llama transformismo.

El término transformismo, nos remite al gramscismo y al neogramscismo en la teoría de las relaciones internacionales, donde esto significa el juego del cesarismo con los desafíos de la hegemonía, es decir, la modernización parcial, movimiento parcial hacia la hegemonía, pero de manera que se mantenga el control político. Así, el transformismo es lo que viene haciendo China desde 1980, lo que ha estado haciendo la Rusia de Putin, sobre todo en la época de Medvedev, lo que han estado haciendo los Estados islámicos últimamente. Absorben algunos elementos de Occidente, capitalismo, democracia, instituciones políticas para la separación de los poderes, ayudan a que se produzca la clase media, siguen el ejemplo de la burguesía nacional, la hegemonía interna y la hegemonía externa internacional, pero no lo hacen del todo, no realmente, al nivel de una fachada para mantener un monopolio del poder político que no es estrictamente hegemónico. 

El análisis básico de los términos gramaticales hegemonía, cesarismo y transformismo que hemos realizado era necesario como preludio al desarrollo de una teoría contrahegemónica. 

2. Pacto histórico

Dado que todas las personas tienen derechos políticos y los delegan en partidos a través de la participación en las elecciones, y la posesión de los derechos económicos está diferenciada en el ámbito económico, Gramsci cree que en el tercer sector hay exactamente el mismo proceso de delegación de sus derechos. Los representantes de la sociedad civil empoderan a los intelectuales para representarse a sí mismos en el campo de la inteligencia en una especie de parlamento condicional de la sociedad civil.

Según la teoría del neogramscismo, existe el concepto de pacto histórico, y como estamos hablando de sociedad civil, este puede tener dos vectores fundamentalmente diferentes: o el pacto histórico se dirige hacia la hegemonía, o se puede implementar un pacto histórico en interés de la revolución.

La hegemonía desde el punto de vista de Gramsci no es un destino, sino una elección, lo mismo que la elección de los partidos políticos. Stephen Gill, un neogramscista, describe la Comisión Trilateral como un pacto histórico de intelectuales conformistas a favor de la hegemonía. Estos son los únicos estudiosos de esta clase de organizaciones donde los propios miembros de esta organización no se consideran una forma paranoica de teoría de la conspiración y reconocen su estatus académico.

91158048.jpgEn última instancia, toda persona, según Gramsci, es libre de estar a favor del capitalismo o del comunismo, e incluso si una persona no pertenece a la clase proletaria, puede ser miembro del partido comunista de su país y participar en batallas políticas siguiendo a los socialistas o comunistas. La afiliación de clase proletaria no es necesaria para la inclusión en un partido político. De la misma manera, a nivel del intelectualismo, no es necesario para nada estar en desventaja, no es necesario ser expulsado del sistema de la sociedad para ponerse del lado de la contrahegemonía que, y este es el principal fundamento gramscista, cualquier intelectual puede elegir y adherirse al pacto histórico de la revolución.

En los años 60, y especialmente en los 70, cuando el gramscismo se generalizó en Europa, se desarrolló una situación única. Entonces la esfera intelectual estaba completamente ocupada por izquierdistas y era simplemente indecente no ser comunista. Se identificaron comunismo y moral en el ámbito de la sociedad civil, a pesar de que los partidos comunistas no dominaban en el ámbito político, y las relaciones burguesas continuaron persistiendo en el ámbito económico. Fue con esto, en gran medida, que los acontecimientos de 1968 y la llegada al poder de Mitterrand estaban relacionados. El giro a la izquierda en Francia no comenzó con la victoria de las fuerzas de izquierda en el parlamento y no con el propio gobierno, sino con la creación por parte de los intelectuales franceses de un bloque histórico contrahegemónico, en ese momento marxista. Hicieron su elección, sin que nadie los echara de los periódicos burgueses, que seguían siendo financiados por diversos círculos burgueses. 

Este grado de libertad nos lleva al tema del constructivismo de la realidad social, que no es un dato fatal. El proceso de construcción de la realidad social se encuentra en la libertad del intelectual para hacer su elección fundamental a favor de un pacto histórico: hegemónico o contrahegemónico.

3. Contrahegemonía/contrasociedad 

s-l400.jpgEl concepto de contrahegemonía es introducido por el especialista en relaciones internacionales Robert W. Cox como una generalización del gramscismo y su aplicación a la situación global. Dice que hoy todo el sistema de relaciones internacionales se construye al servicio de la hegemonía. Todo lo que se nos dice sobre las relaciones entre Estados, sobre el significado de la historia, sobre guerras e invasiones es pura propaganda de la hegemonía de la élite oligárquica mundial. En gran medida, este constructo se apoya en el eje de la intelectualidad que opta por la hegemonía.

R. Cox plantea la cuestión de crear una construcción intelectual de una realidad revolucionaria alternativa global y para ello introduce el término contrahegemonía, dándole una justificación fundamental. Habla de la necesidad de un bloque histórico global de intelectuales mundiales que eligen la revolución, eligen la crítica del status quo y, lo que es más importante, no necesariamente sobre una base marxista, porque el marxismo presupone algún tipo de programa económico fatalista de los procesos históricos. R. Cox cree que el proceso histórico es abierto y en este sentido la dominación del capital es una construcción. En esto se diferencia mucho de los neomarxistas, incluido Wallerstein.

Esta idea pospositivista, constructivista, posmodernista de R. Cox, cuya esencia es que en condiciones de globalización es necesario plantear la cuestión de la contrahegemonía con la misma globalidad, ya que la hegemonía burguesa-liberal, llevando a cabo el transformismo, ya que tarde o temprano este transformismo romperá el cesarismo. 

El segundo principio que introduce Cox es el de contrasociedad, ya que la sociedad global actual se basa en la dominación de principios burgueses-liberales, es decir, es una sociedad de la hegemonía. Esta es una sociedad de la hegemonía por medio del lenguaje, en las imágenes, en la tecnología, en la política, en las costumbres, en el arte, en la moda, en todo.

En consecuencia, es necesario construir una contra-sociedad. Todo lo que es bueno en una sociedad global debe ser destruido, y se debe construir una nueva sociedad en su lugar, si se quiere, una sociedad con signo contrario. En lugar del dominio de los principios universales, se deben construir comunas locales; en lugar de un monólogo liberal, debemos construir un polílogo de culturas orgánicas. Así, la contasociedad será una alternativa a la sociedad que existe hoy, en todos sus principios básicos.

Los términos de Robert Cox son contrahegemonía y contrasociedad.

4. Pensando en la contrahegemonía

51zpJutKyyL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgJohn M. Hobson, estudioso de las relaciones internacionales, autor de La concepción eurocéntrica de la política mundial, en la que critica el racismo occidental y afirma la brillante idea de construir las relaciones internacionales en un nuevo modelo de contrahegemonía basado en los trabajos de Cox, Gill y los neogramscistas es una bendición. La crítica es maravillosa, pero qué hacer, qué contrahegemonía debería crearse, no la encontraremos en sus obras, salvo en dos o tres páginas. Por tanto, es necesario contemplar la contrahegemonía.

Para concebir la contrahegemonía, primero hay que concebir la hegemonía. Volvemos de nuevo a este tema para comprender adecuadamente en qué estamos pensando.

Entonces, ¿qué es la hegemonía? 

La hegemonía es la universalización del liberalismo, entendido como único contexto de un monólogo. El liberalismo es un engaño absoluto, hablando de contrahegemonía y contrasociedad, nos referimos a un desmantelamiento total del liberalismo. Así, contemplar la contrahegemonía es contemplar el no liberalismo, contemplar una sociedad que se opondría radicalmente al liberalismo. Cabe señalar aquí que el no liberalismo en el que tenemos que pensar a la hora de construir la contrahegemonía debe ser el no liberalismo del mañana. Este tiene que ser un no liberalismo hacia adelante, no un no liberalismo hacia atrás.

¿Qué es el no liberalismo hacia atrás? Este es el conservadurismo que ha desaparecido hace mucho y más allá del horizonte de la historia, el fascismo y el nacionalsocialismo que desapareció hace menos, y el comunismo, el sovietismo y el socialismo que han desaparecido recientemente. Todo esto no fue superado por el liberalismo por casualidad, no fue por casualidad que la hegemonía se disolvió, se desintegró, estalló y envió al basurero histórico, al olvido ahistórico, esas ideologías no liberales que se han enumerado. Abordarlos, con toda la facilidad de tal movimiento, no nos acercará a resolver el problema de la creación de la contrahegemonía. Seremos los portadores de un discurso arcaico, marxista, nazi, fascista o conservador-monárquico, que por sí mismos ya han demostrado que no pueden resistir la batalla histórica con la hegemonía. En consecuencia, este es un control de la realidad ineficaz para oponerse al liberalismo.

La principal victoria del liberalismo radica en el hecho de que en el centro de su discurso está el principio: libertad versus no libertad. Esta simple dialéctica resultó muy eficaz, como lo demostró claramente el siglo XX. Para derrotar a sus enemigos ideológicos, el liberalismo utilizó la idea del totalitarismo como concepto. Por tanto, en cuanto el liberalismo buscó a tientas este aspecto totalitario en ideologías que ofrecían su alternativa no liberal, inmediatamente incluyó la parte más fuerte de su ideología, que se llama libertad, liberty.

Para considerar estos procesos con más detalle, es necesario recordar el contenido de la libertad de John Stuart Mil. La libertad es “libertad de”, libertad negativa, y para que la libertad negativa funcione, debe haber una no libertad positiva, es decir, la tesis del totalitarismo. Cuando hay una sociedad basada, por ejemplo, en una identidad racial fascista, pero usted no se ajusta específicamente a ella, entonces su libertad estará dirigida contra esta identidad. Lo mismo ocurre con el comunismo. Si no compartes esta ideología, entonces aplicas la tesis negativa de la libertad a esta tesis positiva de una sociedad totalitaria, y como resultado, tarde o temprano ganarás. La libertad negativa funciona porque la "libertad de" adquiere contenido a través de la negación dialéctica.

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Hoy el liberalismo ha conquistado todo lo que pudo conquistar y se ha propuesto esa tarea. La "libertad de" ahora se nos da por definición, como un hecho. Hoy vivimos en un mundo liberal donde, en principio, no hay nada de qué liberarnos, es decir, La “libertad de” ha desarrollado todo su potencial relacional-creativo, porque se ha liberado de todas aquellas formas que, de una forma u otra, mantenían al individuo en un cierto estado de no libertad. En este momento, se reveló el lado puro de la libertad, "libertad de" como libertad de cualquier cosa es en realidad solo nihilismo. Nihilismo que no estaba en la superficie precisamente porque alguien obstruía esta libertad. En consecuencia, la libertad en el liberalismo victorioso no significa más que la absolutización del nihilismo. La liberación no es nada.

Lo que vivimos hoy es la victoria absoluta de la hegemonía combinada con su implosión fundamental. Esta implosión del liberalismo es un factor importante en su triunfo hegemónico. Pero por ahora, al liberalismo se le opone un cesarismo lento en las últimas etapas, como un defecto temporal, que es objeto de afinar el liberalismo global para que finalmente pueda tener lugar el fin de la historia.

Por cierto, prestemos atención al hecho de que entendemos la palabra fin como el concepto de El fin de la historia de Francis Fukuyama como fin, pero en inglés la palabra fin tiene otro significado: el objetivo, es decir, este es el objetivo de la historia, su telos, hacia lo que se dirige. Este es el logro de la historia alcanzando su cúspide, su límite, es decir, hacia donde se dirigió. Vivimos en el liberalismo como en el nihilismo victorioso, y la implosión de este nihilismo se está produciendo ante nuestros propios ojos.

¿Qué más le queda a la humanidad liberal libre? Desde las últimas formas de identidad colectiva expresadas en género. El problema de las minorías sexuales no es un epifenómeno accidental de la estrategia liberal, es su centro mismo. La lógica en este caso es simple: si una persona no se libera del género, permanecerá en un estado totalitario de separación con otros individuos humanos de cierta identidad colectiva, masculina o femenina. En consecuencia, la reasignación de género no es solo un derecho, sino que pronto también se convertirá en un deber. Si una persona no cambia de sexo, entonces es, de hecho, un fascista, porque si un individuo es un hombre o una mujer, entonces acepta una existencia esclava dentro del marco de su definición de género.

No la igualdad de sexos, es decir, su cambio, se deriva de la libertad, la "libertad de", la libertad de una persona del género, del sexo, así como la libertad cosmopolita de elegir la ciudadanía, el lugar de residencia, la profesión, la religión. Todas estas libertades liberales requieren una etapa lógica, la libertad de género y un cambio total múltiple de género, porque el individuo comienza a acostumbrarse y vuelve a caer en el marco totalitario del género.

Pero ese no es el límite, ya que queda la última identidad colectiva que no se ha superado, la pertenencia de un individuo a la humanidad. Como ejemplo de la necesidad de superar la identidad humana, que en última instancia es también fascismo desde el punto de vista de la lógica liberal, podemos citar el Manifiesto Ciborg de Donna J. Haraway, así como las ideas plasmadas en el programa transhumanista.

51QyraNabVL._SX329_BO1,204,203,200_.jpgSuperar el género y las identidades colectivas humanas son solo detalles que ocuparán nuestra conciencia durante algún tiempo, asustarán a los conservadores y a los elementos liberales incompletamente modernizados y, a la inversa, inspirarán a los liberales para continuar sus próximas hazañas. Al mismo tiempo, cabe señalar que la agenda se ha estrechado, y con el desarrollo del arte genético y quirúrgico, la microtecnología, la biotecnología y el desentrañamiento del genoma, estamos, de hecho, al borde de que este programa se convierta en un tema técnico. Se propone no esperar más, sino pensar de tal manera que el liberalismo, en principio, en su programa nihilista, ha cumplido su cometido.

¿Y qué significa pensar en el no liberalismo hacia adelante? Significa pensar en el no liberalismo, que es después de esta deshumanización del hombre, después de la pérdida de la identidad de género. Es necesario ver el horizonte del liberalismo como una victoria absoluta de la Nada y ofrecer una alternativa no desde fuera, sino desde dentro. La cuestión es que, en última instancia, el liberalismo va más allá de la sociología y nos lleva a problemas antropológicos. La sociedad se desintegra, surge una post-sociedad, un ciudadano liberal separado del mundo, un cosmopolita que, de hecho, no pertenece a ninguna sociedad.

Massimo Cacciari llama a esto una sociedad de idiotas totales que pierden la capacidad de comunicarse entre ellos, porque pierden todo en común que los conecta, surge un lenguaje individual, una existencia rizomática en red, etc. En esta situación, llegamos a la última frontera humana, desde la que se propone iniciar un proyecto de contrahegemonía.

El curso principal de la contrahegemonía en su aspecto antropológico es la idea de un replanteamiento radical de las libertades. Es necesario oponer el liberalismo no al totalitarismo, porque al hacerlo solo alimentamos sus energías destructivas, sino el principio de libertad significativa, es decir, de la "libertad para", la libertad en la terminología de J.S. Mill. Al abordar la problemática de la antropología, en la que el principio individual se sitúa por encima de la humanidad, el liberalismo no debe oponerse a valores conservadores, sino a algo radicalmente diferente, y el nombre de este radicalmente diferente es el concepto de persona o personalidad, es decir, libertad contra libertad, la persona contra la libertad individual.

La personalidad devuelve a la persona a la esencia de su humanidad, esta es su revolucionaria tarea fundamental de crearse a sí mismo por su propia fuerza, esta es, si se quiere, una categoría metafísica. En el cristianismo, la personalidad es donde tiene lugar la fusión del principio divino con el individuo. La persona nace en el momento del santo bautismo. 

En las religiones, la personalidad se describe de diferentes maneras, pero como Marcel Mauss ha revelado tan bellamente en sus obras, en cualquier sociedad arcaica es el concepto de persona el que está en el centro de atención. Este no es un individuo, es la intersección del sujeto eidético de alguna especie dada y espiritual o generalizada.

Así, oponiendo la individualidad con alguna forma de integración social, atacamos al liberalismo y ofrecemos un no liberalismo no desde atrás, sino que necesitamos proponer un modelo de no liberalismo desde el futuro. La personalidad debe rebelarse contra el individuo, la “libertad para” debe moverse contra la “libertad de”, no la no libertad, la no sociedad y algunas otras formas de restricciones colectivas. Debemos enfrentar el desafío del nihilismo. Este, según Martin Heidegger, es el difícil conocimiento del nihilismo.

Pensar en la contrahegemonía significa pensar en una personalidad creativamente libre como la raíz de esta contrahegemonía, sin este cambio fundamental de régimen en las condiciones del nihilismo total no crearemos ningún concepto inteligible de contrahegemonía. 

5. El modelo de contrasociedad

El modelo de contrasociedad debe necesariamente estar abierto desde arriba, este es el principio de la libertad, a la cabeza de esta sociedad deben estar aquellos que estén máximamente abiertos a la dimensión superior de lo personal, que no sean lo más idénticamente posible entre ellos mismos. Son los filósofos contemplativos. La Platonopolis como expresión política del platonismo abierto, liderado por un filósofo que piensa en cualquier cosa menos en sí mismo. No manda, no hace nada, pero abre la posibilidad de que todos sean individuos. Abre la posibilidad de que la sociedad se abra desde arriba, hace que esta sociedad sea verdaderamente libre, sin darse cuenta de sus limitaciones. Él crea una sociedad así, este es el Estado, esta es la sociedad sagrada.

La contrasociedad debe construirse desde arriba, debe ser absolutamente abierta desde lo vertical, este es su principio fundamental. Una filosofía política abierta desde lo vertical debería ser la plataforma para un nuevo pacto histórico de intelectuales. Si creamos este pacto basado en alianzas pragmáticas, no lo lograremos, porque tarde o temprano el liberalismo se hará cargo de todas estas formas.

6. Diversificación contrahegemónica de actores en las Relaciones Internacionales

Para la diversificación contrahegemónica de actores en las RI, se puede partir de los conceptos y definiciones de transnacionalismo y neoliberalismo en las relaciones internacionales, que afirman la expansión de la nomenclatura de actores en el contexto de la hegemonía. Se propone aceptar esta simetría en la construcción de la contrahegemonía y reconocer que el bloque histórico debe estar compuesto por actores de diferentes escalas.

La estructura de la contrahegemonía puede ser la siguiente: en el centro hay intelectuales con una filosofía vertical abierta, es decir, un pacto histórico entre los intelectuales. Debe ser necesariamente global, no puede ser nacional, en ningún país de ninguna cultura, incluso, por ejemplo, en el gran mundo islámico o en el chino, es imposible hacer esto. Todo lo que se necesita es una escala global de contrahegemonía y una unificación global de intelectuales contrahegemónicos basada en una filosofía abierta. Se puede construir una constelación de sistemas de diferentes escalas alrededor de este actor principal, simétricamente en la forma en que Joseph S. Nye describe un sistema liberal transnacional, donde tanto los Estados como los partidos y los movimientos, industrias, grupos, movimientos religiosos e incluso individuos singulares se convierten en actores. 

Todos ellos no solo pueden, sino que también son actores en las relaciones internacionales, en el modelo hegemónico de globalización. Estamos hablando de contra-globalización, no de anti-globalización, no de globalización alternativa, sino de contra-globalización, que reconoce que para derribar esta hegemonía es necesario unir actores de diferentes escalas.

7. La voluntad y los recursos de la contrahegemonía. El archipiélago de Massimo Cacciari

El eje de la estrategia contrahegemónica debe ser la voluntad constructiva, no los recursos. Primero la voluntad, luego los recursos. Esta voluntad debe provenir de la élite intelectual global contrahegemónica como miembros de la sociedad global. Por supuesto, todas las personas piensan, pero los intelectuales también piensan para los demás, y por eso están dotados del derecho a ser caminantes del pueblo, a ser representantes de la humanidad como tal, cuyo discurso global ahora es captado y plasmado por representantes del bloque histórico hegemónico. Por cierto, cuando se ataca a los liberales por un caso, la escasez y la inconsistencia de su argumentación se revela necesariamente, y todo esto porque su argumentación es de voluntad fuerte.

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Sin embargo, ¿en qué recursos puede apoyarse esta voluntad constitutiva de la élite intelectual? En primer lugar, este es el segundo mundo, sobre el que escribe Parag Khanna, los países de los BRICS, los Estados que, en el status quo actual, han recibido algo menos o no están en los primeros roles. Y estos son prácticamente todos aquellos Estados que se sienten incómodos en la arquitectura imperante de la hegemonía. Pero por sí mismos, estos países no son una contrahegemonía, por sí mismos no harán nada.

Los regímenes gobernantes en estos países, si no se activan, continuarán participando en el transformacionalismo, pero los intelectuales contrahegemónicos deben contraatacarlos, incluso en su propio proyecto, en lugar de esperar a ser llamados a trabajar para la administración. Es importante comprender que la administración está comprometida con el transformismo y se ocupará de ello independientemente del lugar: en China, Irán, Azerbaiyán, India, Rusia, los países del BRICS, existe una transformación continua.

Los intelectuales contrahegemónicos deben interceptar la narrativa y dictar la agenda a estos Estados para que ejerzan el cesarismo durante el mayor tiempo posible. Pero esto no es una meta, la meta de la contrahegemonía es diferente, sin embargo, el potencial de estos países es un buen recurso, y como herramienta para lograr la tarea planteada, es bastante bueno. Por ejemplo, un Estado con armas nucleares parece muy convincente como argumento en oposición a la hegemonía.

Asimismo, los partidos antiliberales en todo el mundo son relevantes como recurso contrahegemónico, independientemente de que sean de derecha o de izquierda, socialistas o conservadores. A esto hay que sumar varios movimientos de tipo verticalmente abierto: cultural, artístico, estético, ecológico. En este contexto, conviene prestar atención al hecho de que el campesinado mundial y la industria mundial, tarde o temprano, serán víctimas del sistema bancario y financiero, el sector terciario de la economía, que ya comienzan a colapsar ante el crecimiento proporcional del capital financiero especulativo globalista. No se debe esperar que ellos mismos se pongan del lado de la contrahegemonía y propongan planes, sin embargo, también pueden ser considerados como uno de los componentes del recurso en el arsenal de la alianza de los intelectuales contrahegemónicos dentro del pacto histórico.

Todas las religiones tradicionales, que, en su esencia, son no liberales, a diferencia de las religiones de orientación liberal, que son básicamente laicas o relativistas, o, digamos, religiones desreligiosas, también pueden actuar como un recurso para los intelectuales contrahegemónicos.

La tarea del bloque histórico contrahegemónico es unir todos estos recursos en una red global. Aquí es donde el concepto de "Archipiélago" de Massimo Cacciari, que aplica a Europa, será de gran utilidad, pero la idea en sí puede difundirse más ampliamente. Massimo Cacciari sostiene que entre el Logos universalista y la anarquía de los idiotas atómicos hay un logos privado. Este Logos en particular, junto con el paradigma de la complejidad de Edgar Morin, junto con operaciones en estructuras complejas, con modelos no lineales, pueden ser de gran utilidad.

Ésta es una cuestión fundamental, porque utilizando un modelo complejo, se hace posible construir un diálogo e integrar a la derecha y la izquierda en un solo pacto histórico, mientras que en este momento se miran a través de la lente de sus propias tácticas.

8. Rusia y la hegemonía

Rusia es ahora un campo de transformismo típico y lo que comúnmente se llama putinismo no es más que cesarismo. Se opone a la hegemonía interna en forma de la oposición del listón blanco y de Eco de Moscú (1), así como a la hegemonía externa que ejerce presión sobre Rusia desde afuera. El cesarismo está equilibrando estos factores, que intenta jugar por un lado con la modernización y por otro lado con el conservadurismo, tratando de retener el poder por cualquier medio. Esto es muy racional y muy realista: no hay idea, no hay visión del mundo, no hay metas, no hay comprensión del proceso histórico, no hay telos en tal gobierno - esto es cesarismo ordinario, en su comprensión gramscista.

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La oposición del cesarismo a la hegemonía interna y externa lo obliga a moverse en la necesariamente en dirección a los intelectuales de la contrahegemonía, pero el transformismo es una estrategia adaptativa-pasiva, lo que significa que tarde o temprano el objetivo de este transformismo, no obstante, destruirá el cesarismo. Dado que la hegemonía viene tanto del exterior como del interior, cualquier modernización conduce objetivamente, de una forma u otra, al fortalecimiento de la clase media, y la clase media es enemiga del Estado, así como la burguesía, el capitalismo, el individualismo son enemigos tanto de la sociedad concreta como de la humanidad en su conjunto.

¿Qué tan pronto caerá el cesarismo? El tiempo muestra que puede esto tardar mucho, pero mucho tiempo. En teoría, debería caer, pero sigue existiendo, demostrando a veces ser bastante exitoso. Todo depende de si la transformación se lleva a cabo con éxito o sin éxito. Es una estrategia de retaguardia pasiva condenada al fracaso, pero a veces de la forma más paradójica puede resultar bastante eficaz.

Es bastante obvio que, si en los últimos 13 años esta estrategia se ha mantenido con un pragmatismo omnívoro e ideológico tan generalizado, entonces seguirá existiendo, a pesar de la indignación que causa por todos lados. Sin embargo, vale la pena señalar que es precisamente el transformismo exitoso lo que evita que el Estado sea destruido por representantes de la hegemonía global.

Pero esto no es suficiente, se requiere una estrategia de tipo completamente diferente, contrahegemónica en su esencia, con el ánimo de promover la teoría de un mundo multipolar. Otra iniciativa importante es la Alianza Revolucionaria Global, que es una estrategia bastante activa que puede desarrollarse en Rusia a un nivel paralelo, siendo tanto rusa como global, internacional. E incluso si hay algunas contradicciones internas entre los representantes de la alianza revolucionaria global en Europa o América, y hay algunas, y existen muchas, entonces este momento no debería avergonzar a nadie, y mucho menos detenerse. Dado que la gente elige la misma ética contrahegemónica a pesar de las sociedades en las que vive.

Al rechazar la hegemonía, no es necesario centrarse en el poder. Ahora las autoridades nos dicen “sí” porque estamos del mismo lado con respecto a la hegemonía, estamos en contra de la hegemonía, y las autoridades, de una forma u otra, están en contra de la hegemonía. Pero incluso si la hegemonía hubiera triunfado en Rusia, esta situación no debería influir en la toma de decisiones de la élite intelectual contrahegemónica, ya que debe moverse en nombre de objetivos fundamentales. Sólo una orientación exclusivamente hacia una idea, hacia la escatología, hacia el telos, hacia una meta, y no hacia beneficios momentáneos, puede traer la victoria y el éxito.

El pacto histórico de intelectuales con una filosofía vertical abierta puede ser solidario con la Federación de Rusia en su estado actual como uno de los elementos más importantes del archipiélago de la contrasociedad. La Rusia nuclear de Putin es una isla excelente en este archipiélago, perfecta para una lucha revolucionaria externa, una base maravillosa para capacitar a personas que deben promover actividades escatológicas y revolucionarias a escala mundial. Es una herramienta muy valiosa, pero sin ella se podría seguir igual. Necesitamos buscar contactos en China, Irán, India, Latinoamérica, hacer contrahegemonía en países africanos, en países asiáticos, en Europa, en Canadá, en Australia, etc. Todos los descontentos son miembros potenciales del archipiélago contrahegemónico: desde Estados hasta individuos. 

No se pueden equiparar dos cosas: los intereses nacionales de la Federación de Rusia, agotados por el término del transformismo y la estrategia global contrahegemónica. Son cosas diferentes, ya que la contrasociedad es deliberadamente extraterritorial y es un archipiélago.

Notas del Traductor:

1. Eco de Moscú (en ruso: Э́хо Москвы́) es una estación de radio rusa que transmite las 24/7 con sede en Moscú. Emite en muchas ciudades rusas, algunas de las ex repúblicas soviéticas (a través de asociaciones con estaciones de radio locales) y a través de Internet. El actual editor en jefe es Alexei Venediktov. Eco de Moscú se hizo famoso durante los eventos del intento de golpe de Estado soviético de 1991: fue uno de los pocos medios de comunicación que habló en contra del Comité Estatal sobre el Estado de Emergencia. Es un medio con posturas liberales.

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